« Salut, Moselle, mère généreuse des récoltes et des hommes
c’est toi qu’honore une brillante élite, une jeunesse rompue aux travaux de la guerre
des orateurs dont l’éloquence rivalise avec la langue du Latium
Que dire aussi des bonnes moeurs et du caractère joyeux sous un front serein
que la nature a accordés à tes enfants !
Salut, rivière renommée pour tes terres comme pour ceux qui les cultivent »
« Salve, magne parens frugumque virumque Mosella !
Te clari proceres, te bello exercita pubes
AEmula te latiae decorat facundia linguae
Quin etiam mores et laetum fronte severa
Ingenium natura tuis concessit alumnis
Salve, amnis, laudate agris, laudate colonis »
C’est à un Gaulois que Rome doit une des dernières grandes œuvres des Lettres latines. On peut lire quelques-uns des plus beaux vers de ce poème, gravés en lettres d’or, en gravissant les escaliers de l’Hôtel de Ville de Metz.
Ce poème ? C’est La Moselle, et son auteur, Ausone, compte parmi les derniers grands écrivains de l’Empire romain. Decimus Magnus Ausonius naquit à Bordeaux (à l’époque Burdigala) aux alentours de l’an 310 après J.-C. Il est issu d’une famille gauloise aisée, cultivée et romanisée (son père, médecin, occupa de hautes fonctions dans l’administration romaine). Il reçoit une éducation soignée, dont il témoignera dans son œuvre. Après des études de rhétorique à Bordeaux et à Toulouse, Ausone débute comme avocat, puis enseigne la rhétorique et la grammaire dans sa ville natale.
Il est appelé en l’an 364 par l’Empereur Valentinien Ier pour devenir le précepteur de son tout jeune fils Gratien. Or, l’Empereur avait choisi Trèves comme capitale de l’Empire. Ausone rejoint donc cette grande ville du Nord baignée par la Moselle, aux confins de la Gaule et de la Germanie. La composition des 483 vers de son poème, souvent datée de l’année 371, pourrait être légèrement antérieure. C’est au retour d’une expédition de Valentinien contre les Alamans qu’Ausone rédigea une première version de ce qui allait devenir Mosella (La Moselle), la plus célèbre de ses Idylles.
La Moselle lui valut une grande renommée de son vivant. Symmaque, homme d’Etat, épistolier, orateur, et grand tenant de la tradition romaine, lui écrit : « Ta Moselle, à laquelle tu as consacré des vers divins, passe de mains en mains, de poche en poche. […] j’associe dans un même élan ton poème à l’œuvre de Virgile » (Lettres, Livre I, 14). Peu de fleuves (ou rivières) ont été chantés dans des vers aussi purs, avec autant d’enthousiasme et de sincère affection que la Moselle. Pour Ausone, la Moselle n’était pas seulement une rivière, mais un élément vivant de la nature. A cet égard, l’utilisation du terme poétique amnis, vieux mot celto-italique, indique bien la volonté du poète de magnifier l’objet de son poème.
La richesse de la faune aquatique et de la flore des rives de la Moselle fut pour lui sujet d’émerveillement. Le cours d’eau dont il chante les louanges lui apparaît dans une vision : celle d’une réalité terrestre, concrète, s’offrant à ses yeux. Elle devient chant de célébration du fleuve qui lui a ravi le coeur « Si Smyrne, si l’illustre Mantoue t’eût donné son poète, divine Moselle, le Simoïs tant vanté sur les plages troyennes te céderait la palme, et le Tibre n’oserait préférer sa gloire à la tienne ». Ausone, le Gaulois romanisé, offre ainsi à la littérature latine sa dernière fleur avant l’effondrement de l’Empire romain.
Le temps n’a pas usé les vers de La Moselle. Au fil des siècles, l’intérêt pour ce poème s’est même confirmé. On peut le mesurer à ses nombreuses traductions dans plusieurs langues européennes, parmi lesquelles l’anglais, l’allemand, l’espagnol, l’italien et le polonais. On notera au moins quinze traductions connues en allemand, la première parue à Coblence en 1799, et quatre parues à Trèves, l’antique cité où coule la Moselle : 1846 par Neumann, 1871 par Viehoff, 1895 par Ottmann, 1932 par W. John. En France, les traductions de l’abbé Jaubert (Paris, 1769), de E.F. Corpet (1843), d’Henri de la Ville de Mirmont (1889) et de R. Martin (1977) sont les plus connues. Plus près de nous, le compositeur Claude Lefebvre a mis en musique les vers d’Ausone, dans une composition pour orgue, deux trompettes et bande magnétique, créée à Trèves en 1984, et dont une exécution fut enregistrée au Temple-Neuf. Elle pourrait permettre, en lien avec les différentes traductions, une redécouverte du poème d’Ausone, et susciter un regain d’intérêt pour l’héritage latin de la région mosellane.Pour en savoir plus :
Blog de Miss Média:
Collections des BMM:
- Oeuvres complètes.- AUSONE.- Paleo, 2011.- 1 vol. (290 p.) ; 21 cm.- 2-84909-200-2 .- 9782849092002
- Opuscula omnia = Oeuvres complètes.- AUSONE.- Mollat, 2010.- 1 vol. (869 p.) ; 22 cm.- 978-2-909351-62-9
- La Moselle.- AUSONE.- Reproduction de l’édition Fimin Didot 1887 .- .- Les Belles Lettres, 1972
- Ausone, humaniste aquitain.- ETIENNE, Robert.- Société des bibliophiles de Guyenne, 1986.- 250 p.
- Lettres : Livres I-II. Tome 1.- SYMMAQUE.- Les Belles Lettres, 1972
Nicolas J.
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8 mars 2017 à 12 h 12 min ·
Ainsi va l’art !
La lecture du blog Miss Media du 7 février 2017 (signé Nicolas J.) et le rappel bienvenu de celui du 8 mai 2012 (de Pascal L.) m’ont rappelé à quel point une œuvre littéraire de grand prix est prolongée, transformée, enrichie par la musique qu’y ajoutera un compositeur inspiré.
A toutes les époques, les meilleurs ont trouvé les meilleurs. Tirso de Molina (et avec lui Molière) ont trouvé Mozart, Beaumarchais, Rossini, et Shakespeare tous les musiciens verdiens ou romantiques. La liste est longue, jusqu’au cinéma balbutiant qui, nécessitant un accompagnement, a choisi la musique impressionniste française… Mosella est toujours considéré comme l’œuvre majeure d’Ausone, et de même, je remarque que cette œuvre a inspiré à Claude Lefebvre sa première composition. Une façon de boucler la boucle, en somme. Son choix d’habiter à Jouy-aux-Arches me semble avoir été, aussi, un puissant facteur d’inspiration. Oui, je pense que l’œuvre de Claude Lefebvre pourrait « susciter un regain d’intérêt pour l’héritage latin de la région mosellane » , héritage grandiose, dans tous les secteurs, quand on veut bien se pencher au-dessus…
M.-J. Gambini
13006 Marseille
8 mars 2017 à 17 h 40 min ·
Votre commentaire va tout à fait dans l’esprit de l’article. La création inspire d’autres créateurs, en nourrissant leur imaginaire. La source latine doit encore irriguer l’imaginaire dans notre région : le poème d’Ausone et l’oeuvre de Claude Lefebvre nous y invitent!