Du 21 au 25 novembre 2011, s’est tenu un colloque organisé par le Réseau lorrain de formation et de recherche en action sociale (Foreas) et le Laboratoire lorrain de Sciences Sociales intitulé « Enfance et genre ; Comment le sexisme vient aux enfants ? Des stéréotypes sexistes aux conséquences sociales et sociétales ». Grâce aux regards croisés de plusieurs disciplines, cette semaine de réflexion proposait d’explorer la question de la construction sociale des genres. Comment le genre se construit-il, comment dans notre société apprend-on à être une fille ou un garçon, une femme ou un homme ? Dans ce cadre et en tant que professionnelles de la lecture publique et de la médiation, des bibliothécaires des BMM sont intervenues afin d’apporter un éclairage sur la production éditoriale jeunesse et notamment celle destinée aux adolescent-e-s.
Aujourd’hui, la littérature jeunesse se porte bien : le public des romans dits « adolescents » s’étend largement à un public de jeunes adultes voire d’adultes et ces lectrices et lecteurs ont l’embarras du choix. Pourtant, si l’on pouvait s’attendre à découvrir une nouvelle représentation de l’adolescence, l’on bute aujourd’hui dans une grande partie de la production contre un système de conventions, de schémas et de thèmes qui deviennent vite des stéréotypes.
Si ce type de production n’est pas nouveau, le mode de production adopté associé au marketing est inédit. On frappe très fort avec des produits plus que jamais sériels, pensés et markétés pour un public cible, public féminin qui lit plus que le masculin. On abandonne alors une logique éditoriale pour une logique commerciale. Des maisons reconnues pour leurs apports novateurs, leur réputation pédagogique comme Bayard ou encore leurs exigences littéraires comme Gallimard, se sont lancées dans la course aux best sellers aux côtés d’autres éditeurs qui ont fait leurs armes dans le domaine des paralittératures, comme par exemple les éditions Harlequin qui conquièrent discrètement de nouveaux espaces littéraires et s’installent en librairie.
De façon plus générale, ces choix éditoriaux et ces produits proposés transmettent tout un système de valeurs qui sont celles que la société veut transmettre à de jeunes adolescent-e-s, à des adultes en devenir. Le livre jeunesse s’est, de tout temps, adapté à son environnement politique et économique. Ainsi, les premières collections destinées aux adolescent-e-s sont nées dans les années soixante, à une période où l’adolescence était un phénomène de société et où l’on a reconnu cette classe d’âge comme particulière et ayant ses besoins propres. À cette époque et particulièrement dans les années soixante-dix, la segmentation filles-garçons s’était faite assez discrète grâce, entre autres, à l’héritage de mai 68 ainsi qu’à la position dans le champ littéraire des éditeurs jeunesse, alors à la recherche d’une légitimité littéraire. Aujourd’hui la société a bien changé que ce soit d’un point de vue social, sociétal, économique ou encore idéologique, les romans ados en sont le reflet.
Mais est-ce que cela signifierait que les jeunes filles d’aujourd’hui seraient incapables de s’intéresser à un autre sujet que celui des sentiments ou d’aborder une littérature différente impliquant l’avenir, la vie professionnelle, l’ouverture sur le monde, la politique ou l’engagement ?
Ces livres « font du bien » selon Anne-Marie Pol, auteure de la série Danse, certes, mais est-ce seulement cela que l’on attend d’un livre ?
Tomi Ungerer a dit qu’il écrivait « des livres non pour bercer mais pour remuer »… Voilà ce qu’on peut attendre d’un livre ! Nous émouvoir, nous faire pleurer, nous faire réfléchir, nous énerver, nous révolter…
Ce sont de tels livres que vous trouverez dans la bibliographie Lectures en tous genres que proposent les Bibliothèques Médiathèques. C’est une sélection de romans, documentaires, livres illustrés ou encore bandes dessinées qui met en lumière des ouvrages qui combattent ouvertement les stéréotypes sexistes ou du moins qui n’en comportent pas. On peut mettre en lien le contenu de la bibliographie avec l’image de sa couverture : dans le flot de la production sexuée voire sexiste, les jeunes sur le radeau ont à leur disposition et lisent des livres colorés. Et si l’adolescence est un passage, si la traversée entre le monde des enfants et celui des adultes est parfois difficile et houleuse, ces livres peuvent accompagner ceux qui en ont envie, les aider à se connaître, à se construire.
Oui, faire un choix parmi la production est nécessaire et cela signifie autant prendre en compte les demandes des lectrices et lecteurs que proposer des ouvrages plus originaux, plus surprenants. On se construit d’autant mieux qu’on a la possibilité de multiplier les expériences. Tout dans la littérature ne dépend pas que des personnages, sinon comme l’a dit Guillaume Guéraud, « Petit ours brun ne serait lu que par des petits ours bruns » !
Proposer des lieux accessibles et ouverts offrant des services de qualité et des collections plurielles, permettre leur appropriation par toutes et tous est également primordial.
Enfin, considérer les jeunes non plus seulement comme des ados mais comme des lectrices et lecteurs potentiel-le-s ou avéré-e-s est indispensable. Les considérer ainsi, c’est permettre le dialogue et l’échange, c’est avoir d’eux une vision complètement différente que celle induite par une certaine partie de la production ; c’est comprendre qu’ils sont capables de faire des choix, c’est accepter qu’ils peuvent évoluer et que leurs centres d’intérêts ne sont pas figés, c’est leur permettre d’être autonomes et les y encourager.
Si nous avons un rôle à jouer, c’est celui-là.
Hélène H.
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