Sébastien Raizer, L’alignement des équinoxes

51zgEesyYUL._SX342_BO1,204,203,200_Sébastien Raizer, écrivain originaire de Thionville, a vécu à Metz et Nancy ; fondateur de la maison d’édition Camion Blanc, il a publié cette année son premier polar chez Gallimard / Série Noire. Il vit désormais à Kyōto, terre de tous les possibles, de tous les devenirs, et avant tout, lieu mythique et historique de Musashi, Mishima, et du Hagakure de Jōchō Yamamoto.

Une entrevue qui vous en dira (peut-être) plus sur la détermination de La Vipère et des protagonistes du roman….

Sébastien, un oubli dans la courte bio de présentation ?

Non, tout est là ! Sauf un détail sans doute important : quand j’étais étudiant à Metz, j’allais travailler à la Médiathèque du Pontiffroy… Et pour vraiment t’embêter : le Hagakure (qui signifie « caché sous les feuilles » – entendre : les pages) a été écrit à Saga, sur l’île de Kyushu, où est né l’arrière-arrière-grand-père de ma femme, le grand Saigo Takamori.

Comment es-tu venu à l’écriture ?

Par la lecture. D’abord Hemingway, assez jeune, puis Fante, Brautigan, Bukowski, Faulkner et pas mal d’autres auteurs américains. Les seuls Français de ces années de découvertes étaient Céline, Lautréamont, Rimbaud, Flaubert et Romain Gary. Ils m’ont appris à articuler mes mondes intérieurs. Puis à les écrire.

Peux-tu nous expliquer ce rapprochement avec la Série Noire après tes nombreux livres sur la musique et tes deux romans ?

Effectivement, j’ai écrit pas mal de livres sur la musique, en commençant par Joy Division, qui est le tout premier titre publié au Camion Blanc, en 1992. Les deux romans (Le Chien de Dédale en 1999 chez Verticales et Corrida détraquée en 2001 chez Grasset) m’ont laissé sur ma faim. J’ai décidé de chercher un moyen de mettre en cohérence des polarisations à la fois très fortes et a priori disparates, qui sont représentées par des auteurs majeurs comme Yukio Mishima, Philip K. Dick et William Burroughs. J’ai passé des années à écrire dans ce sens, à chercher la clé d’un monde précis. J’avais lu beaucoup de livres de la Série Noire, de Chandler à Hammett, de Thompson à Goodis, et bien sûr les deux premiers livres de Dantec. Et lorsque j’ai rencontré Aurélien Masson, le patron de la SN, tout s’est mis en route de façon très naturelle, totalement évidente.

Justement, comment as-tu rencontré Aurélien Masson, boss de la collection Série Noire ?

Je savais qu’il travaillait aussi pour la collection « Du monde entier » de Gallimard, et je voulais lui proposer de traduire des inédits de Mishima. On s’est tout de suite rendus compte qu’on parlait exactement le même langage et quelques heures plus tard, il m’a dit : « Mais ne cherche plus : écris ! Tu es prêt. »

D’où est née l’histoire de L’alignement des équinoxes ?

Tout est parti de La Vipère, le « super-dark » du livre. J’ai lu et publié dans ma collection Camion Noir des écrits de serial-killers, qui sont devenus une figure archétypale puis caricaturale du roman noir. J’ai pressenti un personnage authentiquement « par-delà le bien et le mal ». Insaisissable et irréfutable. Tout le reste découle de cette première intuition, les personnages de flics, Wolf et Silver, Diane et Karen la samuraï girl…

Comment as-tu façonné les personnages ? Existaient-ils sous d’autres formes avant ?

Non, ils sont vraiment issus de La Vipère. Ils traquent, essaient de comprendre l’énigme de la « loi de l’alignement ». Ils sont venus d’un bloc. Wolf, le flic ancien commando, était le point de départ idéal pour entrer dans le monde de La Vipère. Sa collègue Silver, une Laotienne formée au muay lao et au zen rinzai, représente un lien entre ces deux mondes. Diane et Karen, les élèves de La Vipère, incarnent sa vision oblique du monde, du réel et de l’existence. Tout est arrivé de façon très limpide, de la couleur des yeux de Karen à la cicatrice qui orne la joue de Silver.

La musique a beaucoup d’importance dans ce livre. Peux-tu nous expliquer ce choix de titres associés aux personnages ?

Au lieu de les construire de façon artificielle, j’ai surtout écouté les personnages. Une fois que j’avais perçu une de leur facette, j’ai écouté comment ils réagissaient dans différentes situations de tension, de solitude, de violence, de doute, d’empathie. Et là, la musique m’a beaucoup aidé. J’écoutais dix ou quinze fois de suite le « Search & Destroy » des Stooges avant d’appréhender les réactions de Wolf. Pareil pour Diane, qui détruit puis reconstruit son univers intime : sa musique, c’est Coil, ce chaos expérimental en mouvement perpétuel, avec des albums comme Horse Rotorvator ou Gold is the Metal (with the Broadest Shoulders). La Vipère, froide et intense, écoute « Kometenmelodie 1&2 » de Kraftwerk dans son écozone… Tout cela s’est mis en place spontanément. La musique a un pouvoir de synesthésie très fort. Donc j’ai vraiment écouté mes personnages.

Quelles sont les bases fondamentales pour toi ? En littérature ? En musique ?

Le Hagakure. C’est un ouvrage consacré à la spiritualité des samouraïs, écrit dans le clan Nabeshima, sur l’île de Kyushu, entre 1705 et 1712. Ce texte explose les limites autocentrées et sophistes de la philosophie occidentale. Il réduit également à néant la stupidité crasse des religions et résonne d’une puissance de vie tout à fait inédite. En littérature, j’ai déjà cité mes trois pôles Nord : Mishima, Dick et Burroughs. En musique, Joy Division m’a marqué au fer rouge quand j’étais adolescent, et je réécoute toujours « New Dawn Fades » avec la même émotion. Mais j’adore les Ramones, Motörhead, Kraftwerk, Coil, Throbbing Gristle, Psychic TV… Et au Japon, j’ai découvert Nisennenmondai et Maximum the Hormone, deux groupes différents et très intenses.

Quelles ont été leur importance respective dans ta création ?

Totale ! (sourire) On écrit avec ce qu’on est, la somme de ses expériences sensibles, de sa mémoire, de ses échecs et de ses idéaux…

Tu vis à Kyoto maintenant, quel importance a le Japon dans ton écriture, est ce que l’Alignement a entièrement été écrit là-bas ?

En fait, j’ai rendu le manuscrit de L’alignement des équinoxes juste avant de retourner en Asie du Sud-Est, où j’étais déjà allé plusieurs fois. Bangkok, le Laos, le Cambodge… Et il m’a paru évident d’aller enfin au Japon. J’ai commencé par la Corée du Sud, où j’ai passé quelques semaines. Le jour où je suis arrivé à Kyoto, j’ai compris que l’histoire allait être bien plus vaste que ce que j’avais imaginé. Le lendemain, je rencontrai mon épouse…

As-tu découvert des auteurs japonais ou des artistes/musiciens japonais qui t’ont influencé dans ton écriture ?

J’en connaissais déjà pas mal avant, mais ce qui est assez déroutant, c’est de vivre l’expérience des lieux historiques où les choses se sont déroulées.
Le Pavillon d’Or, bien sûr, que je ne connaissais qu’à travers le roman de Mishima, mais d’autres aussi, comme le quartier général du Shinsengumi – mais bon, ça devient très vite assez spécialisé avec le Japon… Toutefois, ce qui a principalement influencé l’écriture de Sagittarius, le volume 2 de L’alignement des équinoxes, ça a été de me retrouver dans une situation où j’étais plus qu’analphabète : je ne savais ni écrire, ni lire, ni parler le japonais. Ce qui est assez paradoxal quand on est écrivain. Ma compréhension du Japon est tout à fait corrélée à mes progrès en japonais.
Et l’écriture est ma seule relation avec ma langue maternelle.
Une suite est prévue avec une sortie du tome 2 en mars 2016.

Une petite indication sur le devenir de Silver et sur tes futures parutions ?

Oui, Sagittarius sort en mars 2016 et le volume 3, Minuit à contre-jour, en 2017. Quant à me spoiler moi-même… (sourire) Bon, il y a pas mal de mouvements, mais Silver et Wolf sont toujours là. 😉
Ensuite, je projette trois livres avec Aurélien, sur les années 1979, 1969 et 1945. Après, on rattaque une trilogie des Équinoxes, peinard….

Arigato Gozaimasu pour toutes ces réponses, on attend « Sagittarius » impatiemment.

どういたしまして。ありがとうございました。

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Maryll R.

Bibliothécaire - Bibliothèques-Médiathèques de Metz

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