En fleurissant la statue de Jules Ferry, François Hollande n’ignorait pas que la plupart des roses ont leurs épines ; celles de l’illustre Vosgien sont de nature coloniale. Mais tous les historiens vous diront que ce qui fait la force des symboles, c’est leur ambivalence : les récits trop lisses ne sont qu’à l’eau de rose et perdent de leur piquant.
Cette grande figure lorraine avait également été honorée au printemps 1981, non pas par François le premier, mais par la ville de Saint-Dié. Le regretté Albert Ronsin avait alors conçu une exposition pour commémorer le centenaire des lois scolaires (gratuité, obligation, laïcité) : celles-là même qui valent l’hommage présidentiel. Ferry fit aussi adopter la création d’écoles normales de filles dans chaque département et l’agrégation féminine, par un gouvernement qui rétablit la liberté de réunion, la liberté de la presse, la liberté d’association, l’administration locale par élection…
Faut-il s’étonner cependant que le même qui écrivait aux instituteurs :
« Vous ne toucherez jamais avec trop de scrupule à cette chose délicate et sacrée qui est la conscience de l’enfant »
ait déclaré à la Chambre que
« Les races supérieures ont un droit [et] le devoir de civiliser les races inférieures » ?
Autres temps, autres mœurs ! On peut toutefois formuler deux observations :
– la tradition culturelle française est moins libérale que l’allemande ; Jules Ferry développait les bibliothèques de manuels scolaires quand le régime impérial ouvrait des bibliothèques publiques, y compris dans Metz alors annexée ;
– Jules Ferry, libre-penseur, envisageait l’éducation et la civilisation comme un combat d’émancipation, dans la droite lignée de la philosophie des Lumières.
L’esprit de l’enfant comme celui des colonisés était considéré comme une sorte de cire vierge qu’il fallait modeler pour que les bienfaits de la culture arrachent à l’ignorance des milieux ruraux alors jugés incultes, à tout le moins frustes.
Nous gagnons à maintenir les valeurs plus que les méthodes, comme nous nous souvenons davantage du parfum des roses que de leurs égratignures. L’actualité de Ferry aujourd’hui ne serait-ce pas, au-delà des questions de moyens, de considérer qu’il faut apprendre à émanciper l’intelligence numérique des industries culturelles ? D’ailleurs, la culture des roses, c’est la science épineuse de l’hybridation…
Tiens, l’hybridation, c’est justement ce que défendait Pascal Légitimus en inaugurant sa rose au jardin de Laquenexy, le 1er juin dernier, une rose produite à son honneur par les serres Guyot !
Article librement adapté du « Klatsch de Miss Média » paru dans L’Estrade, mensuel culturel lorrain gratuit, en juin 2012.
André-Pierre Syren
Derniers articles parAndré-Pierre Syren (voir tous)
- Patrick Neu sort son revolver - 27 juillet 2016
- Reliure d’art et de SF - 31 mai 2016
- Théâtres d’architectures - 3 mars 2016