Charles Ancillon et le droit du mariage

La rue Ancillon à Metz-QueuleuQuand les chemins de l’exil huguenot ramènent au mariage pour tous, en passant par celui des eunuques…

Le tricentenaire de la mort d’un Messin illustre est passé assez inaperçu le 5 juillet dernier. Un intellectuel brillant, au destin marqué par les soubresauts de son temps, et contraint de fuir sa patrie par l’arbitraire du pouvoir… ce personnage, c’est Charles Ancillon, né à Metz le 28 juillet 1659, décédé à Berlin le 5 juillet 1715. Issu d’une grande famille messine ayant embrassé la Réforme, il était le fils du pasteur David Ancillon, et le neveu du juriste Joseph Ancillon, auquel la ville de Metz a rendu hommage en nommant une rue dans le quartier de Plantières-Queuleu. Charles Ancillon est représenté parmi les Messins célèbres sur les médaillons offerts en 1772 par le chirurgien Antoine Louis pour orner le Grand salon de l’hôtel de ville de Metz.

Portrait gravé de Charles Ancillon Avec de nombreux huguenots lorrains, il dut prendre les routes de l’exil après la Révocation de l’édit de Nantes. Arrivé dans le Brandebourg après une étape en Hesse, à Hanau, il fit partie des réfugiés placés sous la protection du Prince-Electeur de Prusse. Malgré la tragédie que constitua le départ forcé d’une France où la tolérance n’était plus de mise, Charles Ancillon trouve rapidement sa place dans son nouvel environnement d’alors. Religieusement, socialement et intellectuellement.

Religieusement d’abord, au sein de la communauté huguenote, où sa modération vient heureusement s’opposer aux positions excessives voire extrémistes d’un pasteur huguenot, Gabriel d’Artis (lequel poursuit de sa vindicte tous ceux qu’il juge hérétiques). Il joue ainsi un rôle apaisant dans les conflits religieux internes à sa communauté.

Socialement ensuite, car sa formation de juriste (il a exercé comme avocat à Metz) lui permet de jouer un rôle de premier plan dans les litiges civils qui apparaissent parmi les réfugiés. Il devient ainsi juge supérieur des Français vivant dans le Royaume de Prusse. Puis ses fonctions s’étendent au-delà de la simple communauté dont il a la charge : il est fait conseiller d’ambassade auprès du Roi Frédéric 1er de Prusse.Histoire de la vie de Soliman second empereur des Turcs par Charles Ancillon, fonds ancien des BMM, FPA [FR3] Q 1772

Intellectuellement, sa vie est riche en études et recherches, et c’est sur ce point que nous nous attarderons. Curieux, il s’intéresse à des domaines variés de la connaissance. Ainsi, en 1706, paraît son ouvrage Histoire de la vie de Soliman second empereur des Turcs. A travers cette biographie, on découvre son esprit d’ouverture à d’autres cultures et sa passion pour l’Histoire. Dans son portrait de Soliman II, il se montre à la fois nuancé et précis, en mettant en lumière les périodes sombres, et celles plus favorables, du sultan ottoman.Traité des eunuques, dans lequel on explique toutes les différentes sortes d'Eunuques, Fonds ancien des BMM,  FPA [FR3] K 1899

Dans son Traité des Eunuques paru en 1707, il aborde, avec un sérieux et une rigueur basés sur l’éthique protestante, un sujet encore peu débattu parmi les savants de son temps. La question principale qui parcourt tout l’ouvrage, c’est d’abord celle du mariage des eunuques. A ce propos, bon nombre de réflexions développées par Charles Ancillon ne sont pas sans nous faire songer à la ligne de fracture que nous avons connue il y a quelque temps entre partisans et adversaires du mariage entre personnes homosexuelles, ou « mariage pour tous ». Pour Ancillon, le mariage consacre l’union féconde d’un homme et d’une femme dans la norme sociale : il doit y avoir consommation du mariage, et celle doit s’inscrire dans le cadre social. A ses yeux, le mariage des eunuques est donc à proscrire. Si sa vision juridique du mariage est très éloignée de celle d’aujourd’hui, dans les sociétés occidentales, elle s’inscrivait alors dans la longue tradition d’une institution qui a surtout évolué depuis une quarantaine d’années seulement.

De son temps, cet ouvrage a pourtant suscité l’intérêt du public lettré, à tel point qu’il fut traduit en anglais par un certain Robert Samber et parut à Londres en 1718 sous le titre Eunuchism display’d. Describing all the different sorts of eunuchs. Mais c’est plus récemment qu’il a refait parler de lui, puisqu’il fut réédité en 1978 chez Ramsay sous la direction de Dominique Fernandez (édition épuisée), et chez l’Harmattan en 2007. De quoi susciter un regain d’intérêt pour son auteur, en ces jours où son tricentenaire pourrait réveiller sa mémoire parmi les Messins du XXIe siècle.

 

Pour en savoir plus :

Fonds ancien :

Histoire de la vie de Soliman, second Empereur des Turcs, par Charles Ancillon.- ANCILLON, Charles.- 1706.

Traité des Eunuques, dans lequel on explique toutes les différents sortes d’Eunuques… par M***. D***. (Epître dedié, signée C. d’Ollincan, anagramme de Charles ANCILLON).- 1707

 

Fonds Lorraine :

Huguenots : De la Moselle à Berlin, les chemins de l’exil.- HOCH, Philippe.- Editions Serpenoise, 2006.- 267 p.

Destins huguenots : du pays messin au Refuge allemand.- CARBONNIER-BURKARD, Marianne.- Académie nationale de Metz, 2010.- 163 p. : illustrations photographiques en couleurs

Le Protestantisme en pays messin : histoire et lieux de mémoire.- BRONN, Pierre.- Editions Serpenoise, 2007.- 234 p

Traité des eunuques.- ANCILLON, Charles.- Bergamo University Press & L’Harmattan, 2007.- 245 p.

 

 

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Nicolas J.

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