Don Quichotte en Lorraine

On sait finalement peu de choses sur la vie aventureuse de Miguel de Cervantes Saavedra, romancier, poète et dramaturge espagnol du Siècle d’Or, né en 1547 et dont nous fêtons en ce 23 avril le quatre centième anniversaire de la mort (1616), mais le principal personnage issu de son imagination fertile est devenu un véritable mythe, copié, parodié puis adapté à de très nombreuses reprises sur la scène et à l’écran, grand ou petit.

Parodie grandiose des romans de chevalerie et figure centrale de la littérature espagnole, l’Ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Manche fut publié en deux parties, en 1605 et 1615.
Si l’adaptation musicale de Jules Massenet (1842-1912), sous la forme d’une « comédie héroïque » en cinq actes (Opéra de Monte-Carlo, 19 février 1910), est encore très régulièrement montée sur les scènes d’opéra du monde entier, on est surpris d’apprendre que l’œuvre intéressa les musiciens dès le XVIIème siècle. Le célèbre compositeur anglais Henry Purcell (1659-1695) composa en 1694 plusieurs airs pour l’adaptation théâtrale de Thomas d’Urfey The Comical story of Don Quixote. Plus tard, l’italien Giovanni Paisiello (1740-1816) offrit au public de Naples en 1769 sa propre version sous le titre Don Chisciotte della Mancia.Affiche de la première représentation française, à la Gaîté-Lyrique en 1910

Don Quichotte fait étape en Lorraine

Une adaptation lorraine du roman de Cervantes a fait l’actualité au cours de l’année 2015. En effet, le célèbre duo Shirley et Dino, bien connu des téléspectateurs du samedi soir, a depuis peu ajouté une nouvelle corde à sa lyre comique en signant la mise en scène d’opéras en y apportant la veine burlesque qui a fait son succès.

Le public messin a eu la chance d’assister sur la scène de l’Opéra-Théâtre, les 18 et 20 janvier 2015, à deux représentations décapantes de l’opéra-ballet Don Quichotte chez la Duchesse, créé à l’Académie Royale de Musique et de Danse de Paris, le 12 février 1743. Cette œuvre irrésistible est sortie de la plume d’un enfant du pays, Joseph Bodin de Boismortier (1689-1755), compositeur prolixe né à Thionville, qui a fait une partie de ses études musicales dans notre ville, produisant dans tous les genres à la mode. De nombreux enregistrements consacrés à l’œuvre de cette Figure de Metz se retrouvent dans le fonds patrimonial musical des Bibliothèques-Médiathèques de Metz.

Le chef d’orchestre Hervé Niquet, qui a assuré la direction de l’opéra à la tête de son Concert Spirituel (et qui, au cours de la représentation, n’hésite pas à poser sa baguette pour incarner l’un des personnages sur scène !), a déniché cette perle en 1988. Il dirigea même l’œuvre une première fois à l’Arsenal en 1996. Un témoignage de cette production nous est parvenu sous la forme d’un disque compact publié par la firme Naxos dans le cadre de la collection « Mémoire musicale de la Lorraine ».

Portrait de Boismortier découvert par Stéphan PERREAU, premier biographe du compositeur.Enregistrement publié par Naxos.

Le premier grand succès du compositeur lorrain fut ce Don Quichotte chez la Duchesse, ballet comique qu’il inventa avec Charles-Simon Favart (1710-1791), librettiste de génie qui transforma le sujet de Don Quichotte en une farce de “théâtre dans le théâtre” brillante et colorée. L’histoire de Cervantes devient une véritable comédie lyrique extraordinairement moderne et loufoque où le héros chevaleresque est entraîné dans un divertissement cynique inventé par le Duc et la Duchesse. Au fil d’une intrigue totalement délirante, le héros croise des monstres, des enchanteurs, des princesses, des Japonais… qui sont le prétexte à autant de danses et de chœurs décalés et audacieux. La beauté musicale voisine avec un comique parodique et irrévérencieux. L’écriture de Boismortier pétille à chaque phrase, dans cette pochade où la Duchesse fait croire à Don Quichotte qu’il rencontre de nouveau Dulcinée et une galerie de personnages dont Merlin l’Enchanteur ou l’Infante du Congo, alors qu’il est sans le savoir sur la scène du théâtre privé du château… Une « mise en abîme » d’une incroyable modernité.

Un chef-d’œuvre à (re)découvrir absolument pour le plus grand plaisir des oreilles, des yeux et des zygomatiques !

Instantané du spectacle

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Pascal L.

Bibliothécaire - Bibliothèques-Médiathèques de Metz

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