Georg Philipp Telemann (1681-1767) : un océan de musique

En avril dernier, l’ensemble mosellan Le Concert Lorrain proposait aux auditeurs de l’Arsenal de Metz une version concertante de l’opéra « Otto », fruit de la collaboration entre deux des plus grands compositeurs allemands de l’ère baroque : Georg Friedrich Haendel (1685-1759) et Georg Philipp Telemann (1681-1767).

Le Concert Lorrain à l’Arsenal

Les musiciens réunis autour des directeurs artistiques Anne-Catherine Bucher et Stephan Schultz ont été accueillis à plusieurs reprises par les Bibliothèque-Médiathèques de Metz dans le cadre d’une rencontre musicale et de cafés baroques. La pièce qu’ils nous ont offerte relate le mariage en 972 d’Otto II, fils d’Otto le Grand, avec la princesse byzantine Théophane, sur fond de relations dynastiques et de reconnaissance de l’empire germanique par Rome.

TELEMANN : aquatinte colorée de Valentin Daniel Preisler d'après une peinture disparue de Ludwig Michael Schneider (1750)Telemann et Haendel se sont rencontrés au cours de leur adolescence et sont restés amicalement et artistiquement en contact toute leur vie. De nombreuses compositions témoignent de leur estime mutuelle. Telemann, par exemple, veillait à ce que les opéras londoniens de son confrère soient rapidement joués au théâtre de Hambourg dont il assurait la direction. Il recomposait certains airs, tous les récitatifs (avec des textes en allemand) et transposait les rôles d’hommes écrits à l’origine pour sopranos et castrats (ces derniers étant fort rares dans l’Allemagne du nord protestante…) en rôles pour barytons et basses. Otto, un opéra en trois actes, est l’une de ces rares partitions parvenues jusqu’à nous.

Si Haendel est bien connu, non seulement des mélomanes mais également du grand public, grâce notamment à l’utilisation que le cinéma a pu faire de ses plus belles œuvres, Telemann demeure pour beaucoup une énigme. Cet événement aussi bien artistique que musicologique est l’occasion de présenter un compositeur atypique dans l’histoire de la musique tant par sa personnalité que par sa puissance créatrice.

Georg Philipp Telemann est né à Magdebourg le 14 mars 1681. Fils de pasteur, il apprend la musique en quasi autodidacte et choisit la carrière de compositeur malgré l’opposition de sa famille qui considérait le statut social du musicien comme inférieur. Le jeune Georg Friedrich montre très tôt d’incroyables dispositions pour l’étude et l’apprentissage au point que sa mère, inquiète, choisisse de l’envoyer un temps en pension chez de braves paysans, loin des tentations du savoir et pour, croit-elle, préserver sa santé mentale. Il est vrai qu’il se montre infatigable, en oublie presque le sommeil, et apprend en quelques semaines la composition, l’art de jouer quasiment tous les instruments pratiqués en Allemagne à son époque, plusieurs langues mortes et étrangères … Ce génie précoce compose ses premiers morceaux à l’âge de dix ans et un opéra à douze.

C’est le début d’une carrière fulgurante. Toutes les cours d’Allemagne s’arrachent ses services. Il fonde en 1704 un « Collegium Musicum », qui donne les premiers concerts publics en Allemagne. En 1737, Telemann est reçu à Paris comme un demi-dieu ; ses œuvres sont jouées en son honneur à la cour et au Concert Spirituel. Son confrère Johann Sebastian Bach (1685-1750) n’obtient le poste de cantor de l’église Saint-Thomas de Leipzig pour l’unique raison que Telemann le refuse. Est-ce un geste d’amitié pour le père du compositeur Carl Philipp Emanuel Bach (1714-1788) dont Telemann fut le parrain ?

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Sa puissance de travail dépasse la raison : à la fois compositeur (parfois sous l’anagramme de « Sieur Melante »), chanteur à l’occasion, éditeur et imprimeur de ses propres œuvres, il publie trois ( !) autobiographies et assume parfois en même temps plusieurs postes de direction. En précurseur du parfait gentilhomme du XVIIIème siècle, il s’intéresse à toutes les sciences (en particulier l’astronomie), collectionne les plantes rares et voyage le plus possible. En 1721, il occupe simultanément les fonctions de maître de chapelle des cinq églises principales de Hambourg.

Avec une production estimée à plus de 6 000 œuvres dans tous les genres pratiqués à son époque, il fut probablement le compositeur le plus productif de l’histoire de la musique (1). L’analyse de son œuvre donne le vertige : 44 oratorios de la Passion (Jean Sebastian Bach en composa 5), plus de 1 000 cantates diverses (Bach : 200), 12 séries complètes de services religieux pour tous les dimanches et fêtes, 40 opéras, des concertos et sonates par centaines… Dans l’une de ses autobiographies, il déclare avoir composé environ 300 suites pour orchestre la même année, soit près d’une demi-heure de musique quotidienne en plus de ses nombreuses responsabilités.

Pochette TELEMANNBien entendu, cette extraordinaire facilité de composition et cet inimaginable océan de musique lui attirèrent la méfiance puis le rejet de la part des musicologues du siècle suivant en vertu du principe que quantité ne peut rimer avec qualité. En littérature pourtant, Dumas et Simenon nous ont montré qu’une œuvre conséquente est particulièrement estimable quand elle est d’un niveau élevé et constant. Chaque mois, les éditeurs discographiques et les organisateurs de festivals nous font découvrir de nouvelles pièces de Telemann et un bon connaisseur de la musique de son époque ne peut que louer leur beauté. Ayant accompli parfaitement la fusion des styles italiens, français et allemand avec le style galant, Telemann est le principal représentant du pré-classicisme en musique et ses dernières œuvres, alors qu’il était octogénaire, sont tournées vers l’avenir. Parfois, de véritables pépites s’imposent à nos oreilles, telle la « Donner-Ode » TWV 6 :3, probablement l’une des dix plus belles œuvres de l’âge musical baroque. Les Bibliothèques-Médiathèques de Metz proposent une sélection des plus belles pages du compositeur qui devrait retenir l’attention de tous les mélomanes, même les moins curieux. Notons  par ailleurs que des milliers de disques anciens sont protégés  dans les réserves !

Enfin, si la longue carrière de Telemann fut réussie, sa vie privée lui apporta beaucoup d’épreuves : il perdit en effet sa première épouse après seulement deux ans de mariage et la seconde accumula aventures extraconjugales et dettes de jeu avant de le quitter… Le travail guérit de tout dit-on.

(1)    Son œuvre connue est répertoriée dans le « Telemann Werke-Verzeichnis » (TWV) : http://www.musiqueorguequebec.ca/catal/telemann/telgp.html#Oeuvre. Environ 3 600 pièces y figurent à ce jour car de nouvelles œuvres sont découvertes régulièrement.

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Pascal L.

Bibliothécaire - Bibliothèques-Médiathèques de Metz

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