Jean-Marie Straub présente sa nouvelle œuvre, L’inconsolable, réunissant quatre courts-métrages (Un héritier – L’inconsolable – Lothringen!– Schakale und Araber). L’une d’elles retient l’attention, de la critique comme de la durée puisqu’elle devient emblématique du cinéaste de la mémoire lorraine : Lothringen ! (co-réalisation avec Danièle HUILLET, 1994) en même temps que le symbole ambivalent des relations franco-allemandes. Itinéraire d’un film commandé par Arte pour une soirée thématique consacrée à la Lorraine…
Ce film inclassable est la libre interprétation d’une partie de Colette Baudoche (1909) de Maurice Barrès (1862-1923). Le couple STRAUB-HUILLET montre, avec une économie de moyens caractéristique, les effets douloureux de la guerre de 1870 dans la région messine.
Au cours de l’histoire récente, l’influence germanique sur une frontière disputée depuis Charles Quint s’est traduite par deux périodes d’annexion. La première (1870-1918) a laissé des traces fortes. Le film le montre et le fait sentir, parfois par des détails. Ainsi, les premières images présentent un long panoramique sur un paysage apparemment anodin (confluence du Rhin et de la Moselle à Coblence, où l’on voit la stature équestre du Kaiser). Pour le spectateur qui ne voit pas l’empreinte allemande, STRAUB-HUILLET donnent un indice en fond sonore : le quatuor op. 76 n°3 (dit « L’Empereur ») de Joseph Haydn.
Sur fond de canonnade, toujours avec la musique de Haydn, on peut ensuite contempler un plan des environs de Metz avec les positions des belligérants de la bataille de Saint-Privat (ou bataille de Gravelotte pour les Allemands) du 16 au 18 août 1870 : plan conservé à la Médiathèque du Pontiffroy).
La suite montre le quartier de la gare, avec ses bâtiments massifs caractéristiques en pierre de grès rose des Vosges : la poste puis la gare, vue en contre-plongée, pour bien faire ressortir son architecture imposante.
Nouveau plan pris d’un pont sur la Moselle (à quelques centaines de mètres de la Médiathèque du Pontiffroy !) On voit nettement la cathédrale à l’arrière-plan. Plus tard la voix off annonce qu’une ordonnance a supprimé l’enseignement du français dans quatre villages : Moyeuvre-Grande, Fontoy, Knutange et Audun-le-Tiche. Si la langue n’est plus enseignée à l’école… les jeunes seront obligés d’utiliser l’allemand. Destruction insidieuse de la langue française. Ce que sous-entend le titre du film (Lothringen = Lorraine… en allemand).
Enfin, lors d’un plan fixe interminable, la caméra montre de loin la route de Nancy à Metz. La voix off parle de fin septembre 1872. A cette époque, la population locale française a été prise de panique. En effet, tous ceux qui resteraient sur place deviendraient officiellement des Allemands au 1er octobre. Mais comment se résoudre à tout quitter ? Il y a eu alors des encombrements de Metz jusqu’à la frontière. Les gens disaient « Nous ne voulons pas mourir Prussiens. »
STRAUB rappelle que, le 7 septembre 1871, quatre mois après le traité de Francfort, la ville de METZ se leva à 8h30. 40 000 Messins se sont alors dirigés vers leurs lieux de culte (selon les confessions) pour une messe des morts. Ensuite, ils se sont rangés sur la place d’Armes, avant de se diriger vers Chambières et de se ranger devant le monument aux morts, derrière le cimetière juif.
L’héroïne du roman éponyme, Colette Baudoche est contrainte d’héberger un instituteur, Asmus, un de ces hommes qui contribuent à la diffusion de l’allemand auprès des jeunes Français. Un homme pour lequel elle a pourtant fini par éprouver des sentiments. Placée devant un choix déchirant, elle aura cet ultime commentaire « Après 35 ans, est-il raisonnable d’épouser un Allemand ? » La situation n’est pas sans rappeler celle décrite par VERCORS dans Le silence de la mer (1941).
Lothringen ! rappelle des pages sensibles de l’histoire de Metz et des environs. Qu’on le veuille ou non, le passé allemand imprègne Metz et ses alentours. Ce film montre avec pudeur qu’on peut se souvenir, mais que la vie continue.
Cliquez sur l’image pour lire un entretien entre Jean-Marie-Straub et Peter Kammerer sur Lothringen ! :
En 2001, sous la conduite de Louis Seguin et de Jacques Deville, les Bibliothèques-Médiathèques de Metz ont édité une plaquette, Leçons de géographie, à l’occasion de l’exposition Territoires de Jean-Marie Straub et Danièle Huillet qui comprenait des projections au Caméo et aux Trinitaires ainsi qu’une exposition de vidéogrammes. Colette Baudoche tient en effet une place particulière dans les collections lorraines de l’établissement puisque dès le lendemain de l’Armistice de 1918, Maurice Barrès fit don de l’intégralité des éditions françaises et étrangères de son roman à la Bibliothèque. Bien qu’il incarne une opposition culturelle jugée alors irréductible, alors que désormais la Ville de Metz propose le classement du « quartier impérial » à la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO, ce livre reste emblématique de la fidélité de Metz à la France : Dominique Gros, Maire de Metz, fit cadeau de son exemplaire personnel à Nicolas Sarkozy lors de la visite du Chef de l’Etat en 2011.
La consultation du document en ligne est possible avec ce lien :
Laurent G.
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Merci de ce petit mot. J’ai lu l’article en question avec intérêt.