Aujourd’hui, les médias jouent plus volontiers sur le choc des images plutôt que sur celui des mots. Si bien que les hommes politiques doivent désormais avant tout apprendre à maîtriser leur image et bâtir un véritable plan de communication iconographique. Un exemple marquant et récent est celui de Vladimir Poutine, pour lequel un collectif d’artistes a réalisé une exposition à l’occasion du 62ème anniversaire, le mettant en scène dans les Douze travaux d’Hercule !
Cette réinterprétation des mythes au profit de l’édification de la gloire du souverain est issue d’une longue tradition, qui trouve son apogée, sous l’Ancien Régime, avec Louis XIV. En effet, dès le début de son règne personnel, Louis XIV cherche à appliquer son empreinte là où d’après lui son autorité royale doit s’exercer, c’est-à-dire à peu près partout ! Ainsi, dans chaque branche, le grand roi est en quête d’un homme de très haute valeur, ayant les connaissances les plus étendues dans son domaine, et surtout, disposé à les mettre au profit de ses conceptions royales. La figure du roi magnifié s’impose alors dans une grande diversité de supports : peintures, tapisseries, médailles, ballets… La médiation artistique impose la vision d’un souverain parfait, d’une puissance absolue. Cette entreprise de propagande et de publicité royales, d’une cohérence et d’une ampleur jusqu’alors sans égal, fut orchestrée d’une main de maître par Colbert, jusqu’à sa mort en 1683. La commande royale instaure un « art officiel » qui met en scène la monarchie absolue dans toute sa splendeur et sa superbe.
Dans cette dynamique, la gravure joue un rôle particulier : elle est, pendant tout l’Ancien Régime un remarquable moyen de diffuser une iconographie choisie, dans des buts bien déterminés. Le pouvoir royal s’en sert abondamment : l’estampe acquiert une place de choix dans la fabrication du personnage de Louis XIV car elle permet une large diffusion. Car le XVIIe siècle peut à juste titre être considéré comme le grand siècle de la gravure. En effet, jamais, à aucune époque, on avait publié pareille masse de vues de villes, châteaux, monastères, ou tout simplement paysages. La longévité remarquable du règne de Louis XIV y est sans doute pour quelque chose, car elle a permis de préserver une réelle stabilité des choix, et de mettre en place un système de reconnaissance officielle des artistes « méritants ». Ainsi, à cette époque, la gravure semble atteindre en France son acmé, et dominer le reste de l’Europe par son excellence. Parmi les artistes émérites de ce siècle, on peut citer Nanteuil, éminent buriniste et portraitiste, et bien sûr, Sébastien Le Clerc, prolifique graveur qui aura à son actif plus de 3000 planches.
En outre, concernant les biens du souverain, l’exemplarité du contrôle royal est remarquable. En effet, par arrêt du Conseil d’État en date du 22 décembre 1667, la gravure des « tables et planches des plans et élévations des maisons royales, tableaux, figures antiques » est strictement réservée aux graveurs et imprimeurs en taille-douce, choisis par le surintendant des Bâtiments du roi et munis de privilèges.
Dans le même esprit, Louis XIV, voulant encourager d’une façon toute spéciale les graveurs et l’art de la gravure, confie aux plus habiles d’entre eux la reproduction des châteaux royaux, des jardins, des galeries et enfin des tableaux et tapisseries qui se trouvent en sa possession. Sébastien Le Clerc contribue activement à cette édification en gravant les galeries de Versailles, les Gobelins, ou encore les travaux colossaux entrepris au Louvre. Pour parachever cette entreprise, le monarque joint à cette série déjà considérable les gravures des combats qu’il a pu livrer et des victoires qu’il a remportées. Par ces commandes officielles, le roi assure aux artistes « méritants » de son choix une carrière relativement lucrative et très productive, dans laquelle s’inscrit pleinement Sébastien Le Clerc. Ainsi, sous le règne de Louis XIV, les graveurs occupés par le Roi à d’importants travaux, n’ont guère le loisir d’exécuter des estampes satiriques ni même historiques ; on doit donc peu s’étonner de l’absence presque totale de ces gravures intimistes qui caractérisent une époque ou, pour le moins, en traduisent l’esprit en révélant de menus faits ou tout simplement la vie quotidienne.
La représentation de la société apparaît tout de même dans l’œuvre gravé de Le Clerc à travers la réalisation de séries comme les « Modes de Metz » ou les « Figures pour Colbert d’Ormoy ». En contrepoint, les portraits « officiels » réalisés par son contemporain Nanteuil, témoignent de la virtuosité atteinte à cette époque dans l’art si délicat du burin.
Anne D.
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