Paul Verlaine librettiste… d’opérette !

Paul Verlaine par CourbetL’exposition « Et maintenant, aux fesses ! », proposée par les Bibliothèques-Médiathèques de Metz du 25 avril au 15 juin, est l’occasion de présenter en première mondiale les éditions érotiques illustrées du poète messin.

En joignant le son à l’image licencieuse, une borne d’écoute permet aux visiteurs de découvrir comment les plus grands compositeurs et artistes (Debussy, Chausson, Fauré mais également Léo Ferré pour ne citer qu’eux) ont mis en musique, non seulement ses plus beaux et plus célèbres poèmes, mais également ses textes les plus « légers » (Sonnet du trou du c**).

Parmi ces enregistrements souvent méconnus, figure en intégralité la captation en première mondiale de deux opérettes dont Verlaine écrivit le livret. On imagine mal le grand poète amateur d’opéra-bouffe ; nous savons pourtant par sa correspondance qu’il fréquentait avec assiduité les scènes lyriques.

Emmanuel Chabrier par ManetQuand le compositeur Emmanuel Chabrier (1841-1894) rencontre Verlaine vers 1861, il a une vingtaine d’années. Ami avec nombre d’écrivains et de peintres de son temps (Zola, Daudet, Monet, Manet, Renoir …), il fut un grand bibliophile et collectionneur d’œuvres d’art. Introduit chez les Parnassiens, dans ce milieu où un curieux dosage de bohème et de sérieux compose un climat propice aux échanges fructueux, il se lie immédiatement avec le poète dont il partage les goûts.

Bien plus tard, en juin 1887 lorsqu’il échouera à l’asile de Vincennes, se retournant vers son passé, Verlaine évoquera dans un sonnet (1) leur commune jeunesse et leur collaboration :

Chabrier, nous faisions, un ami cher (2) et moi,
Des paroles pour vous qui leur donnez des ailes,
Et tous trois frémissions quand, pour bénir nos zèles,
Passait l’Ecce Deus et le Je ne sais quoi.

Ces « paroles » étaient celles de deux opérettes : Fisch-Ton-Khan et Vaucochard et Fils. Vaucochard et Fils, dont il ne subsiste que quelques numéros, tous orchestrés et datées de 1864, ne fut, semble-t-il, jamais représentée.

Emmanuel Chabrier - Fisch-Ton-Kan - Pochette Disque CompactFisch-Ton-Kan, dont le livret préfigure celui de l’opéra L’Etoile, l’une des œuvres les plus connues de Chabrier, s’inspire de Fisch-Tong-Khan ou l’Orphelin de la Tartarie, parodie chinoise en un acte de Messieurs Sauvage et Lurieu, représentée le 3 mars 1835 au Théâtre du Palais Royal.

L’opérette fut créée le 29 mars 1873 au Cercle de l’Union Artistique, plus familièrement appelé « Cercle des mirlitons » dont Chabrier était membre. Cette représentation privée, sans orchestre, était accompagnée au piano par le compositeur. La version enregistrée par la firme Arion présentée dans l’exposition a été orchestrée par Roger Delage qui en assure également la direction. Le manuscrit est conservé à la Bibliothèque nationale de France. Plus près de nous, Jérôme Deschamps a proposé une nouvelle adaptation de l’opérette à l’Opéra-Comique, le 25 décembre 2007, dans une orchestration originale de Thibault Perrine et sans dialogues, le créateur des fameux « Deschiens » assurant lui-même au cours de la représentation la lecture des textes de liaison dont il est également l’auteur.

La qualité du livret nous permet de constater que nous ne sommes pas si éloignés que cela des poèmes érotiques laissés par le poète, une dose d’humour en plus peut-être. Qu’on en juge :

CORYPHEES SOPRANOS ET BARYTONS

Adieu le trapèze,
Ce pitre joli, si joli
N’aura plus pour chaise
Un bâton poli.

Caricature Napoléon IIIUne chanson satirique, très populaire à Paris après la chute de Napoléon III, semble s’en inspirer.  « Le Sire de Fisch-Ton-Kan » fut composée pendant la Commune de Paris (mars-mai 1871). Le texte est du à la plume d’Urbain Roucoux (1845-1901) qui fut également librettiste de Chabrier (opérette Le Roi malgré lui, représentée à l’Opéra-comique en 1887). Les paroles de cette chanson, politiquement incorrectes à souhait, parodient l’empereur, sa famille et son régime. Dans le bouillonnement artistique occasionné par les événements qui se déroulaient alors dans la capitale, on imagine facilement le compositeur attirant l’attention de son ami et futur collaborateur sur cette œuvre de jeunesse, conçue peu après 1865, qui dormait dans ses cartons et qui, comme nous l’avons vu, ne connut la scène qu’en 1873.

Cette chanson apporte un nouvel éclairage à l’opérette de Chabrier et Verlaine. Le personnage principal, Fisch-Ton-Kan, décrit comme un jeune prince tartare tourmenté par la gent féminine, ne serait-il pas tout simplement une première incarnation de l’Empereur des Français dont l’appétit sexuel était proverbial, mort en exil le 9 janvier 1873 soit quelques semaines seulement avant la création de l’œuvre ? Façon pour les deux compères de saluer à leur manière la disparition d’un personnage honni par la population française.

1 : recueil « Amour » de 1888

2 : il s’agit de Lucien Viotti, son condisciple au Lycée Bonaparte (Lycée Condorcet)  avec lequel il avait noué une amitié passionnée

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Pascal L.

Bibliothécaire - Bibliothèques-Médiathèques de Metz

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