Paul Vidal de la Blache, précurseur de la géopolitique

Paul VIDAL DE LA BLACHE, La France de l'Est (Lorraine – Alsace)

Edition de 1920 de La France de l’Est (Lorraine – Alsace), Fonds Mutelet des BMM, FPA [FR3] MUT 2110

Et si la géopolitique avait commencé par la question d’Alsace-Lorraine ? Cette discipline, apparue à la fin du 19e siècle, s’est donné pour tâche d’expliquer la géographie par les jeux de pouvoir et d’influence politiques. Les Mosellans n’en ont-ils pas subi les aléas, lors de périodes d’annexion douloureusement ressenties ?

Or, au moment où nous commémorons le centenaire de la Grande Guerre, un ouvrage encore trop méconnu apporte un éclairage capital : La France de l’Est (Lorraine – Alsace), de Paul Vidal de la Blache (1845-1918), père fondateur de la géographie française moderne.

Paru en 1917, puis réédité après sa mort, ce livre tranche avec la vision classique de la géographie développée dans le reste de son œuvre. Alors qu’il s’était consacré auparavant à définir les traits permanents de la France, Paul Vidal de la Blache se tourne vers les lignes de tension qui parcourent les territoires de l’Est, et les revendications autour des « provinces perdues ». Son ouvrage a un fil directeur : affirmer la non-germanité de l’Alsace et de la Lorraine. D’emblée, il écarte le facteur linguistique de l’appartenance nationale. Les Alsaciens et une partie des Lorrains ne sont pas francophones ? Pour Vidal, cela n’a rien de déterminant. Ce qui compte, dans un pays, c’est l’homogénéité de peuplement. Ce sont les liens historiques, économiques et sociaux. C’est ce que démontre la carte suivante, tirée de son ouvrage :

Densité de la population en Alsace-Lorraine

Cette carte met en évidence la continuité de peuplement entre l’Alsace-Lorraine annexée et la Lorraine restée française : zones rurales à faible densité et zones urbaines plus densément peuplées font partie du même ensemble cohérent.

La communauté de destin qui lie les terres de l’Est à la France a ses racines dans l’Histoire. Ayant pleinement pris part à la Révolution, habités par le caractère national français, les Alsaciens comme les Lorrains ne peuvent être absorbés par l’empire allemand. Jules Michelet (1798-1874) avait en son temps magnifiquement illustré la place tenue par les régions frontalières dans la constitution de la France indivisible : « la France est une personne ».

L’originalité de Vidal, c’est de reprendre l’héritage de Michelet et de l’adapter au contexte de son temps. Il s’agit autant de défendre et d’illustrer une certaine idée de la nation française, que de contrebalancer le poids des empires centraux en Europe. Ainsi, le titre La France de l’Est (Lorraine – Alsace) est lui-même très évocateur : en faisant passer la Lorraine avant l’Alsace, Vidal montre son refus de la dénomination allemande d’Alsace-Lorraine. Il s’oppose aussi à la vision bismarckienne d’une Alsace-Lorraine ethnique, en faisant des deux régions des membres à part entière de la France historique.

C’est dans ce creuset qu’apparaît l’analyse novatrice de Vidal : ces territoires sont l’objet de rivalités où n’entre pas seulement en jeu une domination brute. La géographie est le résultat de données complexes, où politique, économie, culture et liens sociaux plongent et entremêlent leurs racines dans l’histoire. Les « provinces perdues », en  réunissant toute cette complexité, deviennent lieu et objet d’analyse de ce qu’on nommera un peu plus tard, en France, la géopolitique. C’est donc tout naturellement par ces mots que Vidal termine son oeuvre, puissante et singulière : « Il appartient de reforger d’un métal solide l’unité française ».

Pour en savoir plus :

Paul VIDAL DE LA BLACHE, La France de l’Est (Lorraine – Alsace)

 

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Nicolas J.

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