Sarre, 1956 : du combat idéologique au dialogue fécond

60 ans de la Sarre

Enveloppe éditée spécialement par la Poste allemande pour le 60ème anniversaire du Traité sur la Sarre

Le land allemand de Sarre commémore, en cette fin d’année 2016, les 60 ans de sa réintégration à l’Allemagne, qui prit effet le 1er janvier 1957. L’histoire de ce petit territoire, voisin de notre département mosellan, et avec lequel elle partage certains points communs, est encore mal connue.

Remontons donc l’histoire ! 1815 : Le congrès de Vienne établit une nouvelle carte de l’Europe. La plupart des régions germanophones de l’Ouest, qui étaient passées à la France pendant l’épisode napoléonien, réintègrent l’ère germanophone (Prusse et Autriche). C’est le cas de la zone frontalière allant de Trèves à Sarrebruck, dont certaines parties étaient déjà françaises sous l’Ancien régime (Sarrelouis). En 1871, L’Empire allemand en pleine expansion s’agrandit vers l’Ouest après la défaite française de 1870. Le traité de Francfort entérine l’annexion de l’Alsace et d’une partie de la Lorraine.

Mais lorsqu’en 1918, l’Allemagne vaincue doit restituer l’Alsace-Moselle à la France, les revendications françaises vont aller au-delà du simple retour de Provinces perdues. Clemenceau revendique la Sarre, qui fait l’objet de débats acharnés à Versailles. Le Tigre avance le chiffre de 150 000 Sarrois « qui sont des Français ». Mais cette Sarre revendiquée n’a en fait jamais existé comme telle. Le lointain héritage de l’Ancien Régime s’étendait à Sarrelouis et à une bande de territoire beaucoup plus mince que la Sarre d’aujourd’hui. En réalité, au lendemain de la Grande Guerre, la France, exsangue mais poussée par sa victoire et une inextinguible soif de revanche, veut faire payer l’Allemagne. Les passions revanchardes jouent à plein dans cette période où les nationalismes restent exacerbés.

La Sarre à travers les âges, texte de Camille Pône, illustrations de Jean Morette – Sarrebruck, 1948 ; Coll. BMM – FPA [FR3] MUT 2932

Une entité sarroise est donc créée en 1919 et placée sous le mandat de la Société des Nations pour une durée de quinze ans. La France obtient le droit d’administrer et d’exploiter les mines de charbon du bassin de la Sarre. Dans l’entre-deux-guerres, la question sarroise ne cesse d’envenimer les rapports entre la France et l’Allemagne. Le 13 janvier 1935 une écrasante majorité de la population (plus de 90%) se prononce, lors d’un plébiscite, pour le rattachement à l’Allemagne. Mais c’est une Allemagne alors sous la botte nazie, et qui, quelques années plus tard, mettra l’Europe à feu et à sang.

Après la Deuxième Guerre mondiale, la question des revendications françaises sur la Sarre ressurgit. La France continue de considérer comme une zone à part ce petit territoire, et elle se sent légitime à décider de son destin. En 1947, sous l’égide de la France, une constitution sarroise est adoptée. La Sarre devient de fait un protectorat sous autorité française. C’est dans ce contexte que paraît un ouvrage singulier, La Sarre à travers les âges. Illustré par le Lorrain Jean Morette, il est plutôt destiné à la jeunesse qu’à un public adulte. Les dessins sont magnifiques, mais le texte n’est pas dénué de propagande, et prend même parfois un tour idéologique : « Chaque fois que cette région [la Sarre] s’est trouvée unie aux peuples d’outre-Rhin, qui l’ont colonisée et utilisée pour leurs entreprises contre l’Occident, elle a connu le malheur et la guerre; au contraire, elle a joui de la prospérité, de la paix et des bienfaits de la civilisation chaque fois qu’elle a tourné ses regards du côté de la France. »

La Sarre à travers les âges

La Sarre à travers les âges, texte de Camille Pône, illustrations de Jean Morette – Sarrebruck, 1948 ; Coll. BMM – FPA [FR3] MUT 2932

Dans ces années, la France pèse en effet de tout son poids pour arracher le petit territoire à l’attraction que l’Allemagne produit naturellement sur lui. Une nationalité sarroise est instaurée. Le franc français est introduit à la place du mark sarrois. La Sarre participe comme pays indépendant à des événements sportifs internationaux.

Ottweiler

La Sarre à travers les âges, texte de Camille Pône, illustrations de Jean Morette – Sarrebruck, 1948 ; Coll. BMM – FPA [FR3] MUT 2932

Pourtant, dès le début des années 1950, il apparaît clairement que la question sarroise est un obstacle à la réconciliation franco-allemande. Aussi, un rapprochement des positions des deux ennemis héréditaires apparaît nécessaire. En 1955, lors d’un référendum, près de deux tiers des Sarrois rejettent le statut européen qui leur était proposé. On s’achemine donc peu à peu vers un retour de la Sarre dans le giron allemand. Ce sont les accords de Luxembourg ou Traité sur la Sarre qui consacrent la réintégration de la Sarre à l’Allemagne fédérale. Signés le 27 octobre 1956, ils prirent effet le 1er janvier 1957. Ce sont plusieurs décennies de crispations nationales, de conflits idéologiques, sans parler de plusieurs siècles d’histoire, qui trouvent enfin leur résolution grâce à la volonté de dépasser des positions irrédentistes.

Pour le dialogue franco-allemand, la résolution du problème sarrois a engendré une véritable dynamique. Elle permettra d’arriver par étapes au Traité d’amitié franco-allemand du 22 janvier 1963, appelé aussi Traité de l’Elysée.

Preuve, s’il en faut, que le travail patient de la diplomatie, l’acceptation de s’asseoir à une même table, et la reconnaissance des justes revendications de l’autre, se révèlent un jour féconds.

 

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Nicolas J.

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