20 juillet 1945 : la France, encore dans l’euphorie de la libération, perd un de ses plus grands hommes d’esprit : Paul Valéry, né à Sète en 1871, décède à Paris. Soixante-dix ans après sa mort, il demeure une des références principales de la littérature française du 20e siècle, dont il a contribué à ciseler les contours par un double travail de critique et d’écrivain.
Un de ses essais, Villon et Verlaine, paru en 1937, intéresse tout particulièrement nos Figures de Metz©. Les BMM en possèdent la publication originale, conservée en Réserve Précieuse.
Dans cette magistrale étude critique, Valéry effectue d’importantes mises au point sur la mission du poète, en même temps qu’il se penche sur le parallélisme entre François Villon et Paul Verlaine. Il s’attache à cerner ces deux figures de notre patrimoine littéraire, en montrant que des vies qui se ressemblent n’aboutissent pas forcément à une création identique.
Valéry note d’emblée que le rapprochement entre ces deux poètes s’opère facilement : « L’un et l’autre, admirables poètes ; l’un et l’autre, mauvais garçons […] fréquentant, selon l’humeur, les églises ou les tavernes, [et] contraints à d’amers séjours en vase clos, où ils se sont moins amendés de leurs fautes qu’ils n’en ont distillé l’essence poétique de remords, de regrets et de craintes. […] Le parallèle se propose et se développe assez bien ».
Mais derrière ce tableau où les destinées semblent se répondre de façon symétrique, Valéry pointe les premières fissures. D’abord parce qu’il se méfie de tout attachement trop marqué à la vie des poètes. En s’attardant aux détails biographiques, on perd de vue l’essentiel : la création poétique. Sur ce point, Valéry met en garde contre le dévoiement du regard que la vie d’un poète peut faire peser sur son œuvre. Il ne faut pas « esquiver le principal pour suivre l’accessoire ».
Mais, en analyste patient, Valéry continue de creuser son sujet : il admet que, dans le cas de nos deux poètes, l’influence du contexte est déterminante : « Le double cas Verlaine-Villon est un cas singulier. Il nous offre un caractère rare et remarquable. Une part importante de leurs oeuvres respectives se réfère à leur biographie, et, sans doute, sont-elles autobiographiques en plus d’un point ».
Ainsi, les conditions profondes dans lesquelles sont nées et se sont développées ces deux œuvres poétiques méritent d’être rapprochées, et pas seulement les anecdotes curieuses, sordides ou sensationnelles. Chez Villon, il note que « certains morceaux émergent avec une précision extraordinaire et des détails d’une netteté effrayante ». Même un esprit aussi rigoureux et objectif que Valéry en est fortement impressionné.
Ce n’est donc pas non plus sans émotion qu’il évoque ses propres souvenirs de Verlaine : « Verlaine!… Que de fois je l’ai vu passer devant ma porte, furieux, riant, jurant, frappant le sol d’un gros bâton d’infirme ou de vagabond menaçant. Comment imaginer que ce chemineau, parfois si brutal d’aspect et de parole, sordide, à la fois inquiétant et inspirant la compassion, fût pourtant l’auteur des musiques poétiques les plus délicates, des mélodies verbales les plus neuves et les plus touchantes qu’il y ait dans notre langue. Tout le vice possible avait respecté, et peut-être semé, ou développé en lui, cette puissance d’invention suave, cette expression de douceur, de ferveur, de recueillement tendre, que personne n’a donnée comme lui ».
Reste que Villon et Verlaine ne sont pas les fils de la même époque. Leur art ne s’est pas épanoui dans le même contexte littéraire, d’où les directions opposées de leur œuvre dans la forme : « Villon est, en quelque sorte, orienté vers l’époque très prochaine où la production se développera en pleine conscience d’elle-même. La Renaissance est la naissance de l’art pour l’art. Verlaine, c’est tout le contraire : il en vient, il en sort, il s’évade du Parnasse, il est, ou il croit être, à la fin d’un paganisme esthétique ».
Sans doute est-ce donc d’abord une proche parenté de destin qui relie fondamentalement ces deux grands de la poésie française. Les Poèmes saturniens sont le premier recueil de Verlaine. Quant à Villon, c’est aussi sous le signe de Saturne qu’il place son fatum, dans la ballade Débat de Villon et de son cœur:
« Dont vient ce mal ? – Il vient de mon mal eur :
Quant Saturne me fist mon fardelet,
Ces motz y mist, je le croy. »
« D’où vient ce mal ? – il vient de ma mauvaise destinée :
Quand Saturne me fit mon paquet,
Il y mit ces maux, je le crois. »
(traduction Jacqueline Cerquiglini-Toulet, Bibliothèque de la Pléiade, ©Gallimard, 2014)
Il n’est donc pas étonnant que l’un et l’autre, par-delà le temps, viennent traverser notre imaginaire et le nourrir, tels deux frères pour la postérité.
Pour en savoir plus :
Villon et Verlaine.- VALERY, Paul.- éditions A.A.M. Stols, MCMXXXVII
Poésies. – VALERY, Paul.- Gallimard, 1957
Oeuvres complètes.- VILLON, François.- Gallimard, 2014
Oeuvres poétiques complètes. – VERLAINE, Paul.- Gallimard, 1992
Nicolas J.
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