D’ici et de là-bas : les Chibanis

Il est des contrastes saisissants.
La salle Mutelet de la Médiathèque Verlaine de Metz abritait le mois dernier les éditions illustrées et érotiques des poésies de Verlaine ; d’une exposition à l’autre, on rentre en territoire intime mais d’une manière moins charnelle que sensible. Des regards vous saisissent par leur formidable présence, tous masculins et, pour certains, d’un grand âge.

  • © Photographie Cédric Jean

Les  Chibanis, «  vieil homme » ou « cheveux blancs » en arabe, ont la noblesse des traits de ceux qui ont vécu tant d’histoires, d’ordinaire peu recueillies. Les portraits  rivalisent entre-eux avec une indéniable recherche dans la posture, et le fond de scène noir avec large fauteuil, options du  photographe Cédric Jean, ajoutent à la dignité solennelle qui les imprègne.
A Rosselange, à Florange, dans cette vallée où la marque des anges n’est pas celle que l’on croit, ces  Maghrébins travaillant  en Lorraine tandis que les familles résidaient en terre natale, ont fait moins la fortune de leur vie que celle des patrons de la sidérurgie.

Les deux  courts-métrages  qui complètent l’exposition, l’ensemble ayant été réalisé par Bertrand SINAPI et Amandine TRUFFY de la Compagnie Pardès rimonim, en  précisent les contours. Ils se sentent Français et tout à la fois Algériens ou Marocains, ils ont les racines de là-bas et la langue d’ici, mâtinée d’un bel accent oriental. L’exil professionnel avait forgé des convictions, une réussite qu’il convenait d’atteindre. Pourtant ce qu’ils disent de leur vie lorraine,  apparait presque contrarié par le lointain dans leur regard.

Les années 60-70 les ont invités à donner la force de leurs bras au détriment, parfois, d’une famille unie et pérenne par-delà la Méditerranée. Ils ont plein de souvenirs et la tête envahie des saveurs épicées.
Ce recueil patient de la mémoire, amplifie, embellit sans doute ce qui est resté ailleurs, mais l’oubli n’est l’antidote de rien. Ils ont travaillé longuement et durement, le corps en garde certainement les traces, les bouches édentées témoignent déjà de soins aléatoires. Ils retournaient au pays puis revenaient. Même si les liens se distendaient de part et d’autre, patriarche, père de famille, ils assumaient économiquement du mieux qu’ils pouvaient le bien-être des proches.

Les Chibanis restent fiers. La quête de la compagnie Pardès rimonim apporte un supplément d’âme à une routine de senior. Mais plus encore il importait,  lorsque ces hommes qui ont dédié à l’économie leur jeunesse  vieillissent isolés loin des leurs, de recueillir les paroles dont personne ne se préoccupait auparavant.

Exposition à la Médiathèque Verlaine jusqu’au 2 août 2014. Vernissage vendredi 04 juillet à 17h.

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Marie-Paule Doncque

Bibliothécaire - Bibliothèques-Médiathèques de Metz

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