A l’occasion des estivales de la Nied, la compagnie La S.O.U.P.E donnera une représentation de Macao et Cosmage ou la recherche du bonheur, pour deux marionnettistes et deux kamishibais. Rappelons qu’il s’agit de l’adaptation d’un album fondateur de la littérature de jeunesse écrit par un artiste aux multiples facettes Edy Legrand. Peintre mais aussi versé dans les arts décoratifs, il a conçu de façon révolutionnaire le livre Macao et Cosmage pour les enfants. Pour eux, il a aussi poussé Charles Vildrac à écrire L’Ile rose, encore une histoire d’île et d’utopie qui a marqué le monde du roman pour jeunes. Il a également illustré avec de superbes planches naturalistes en quadrichromie une autre histoire de Charles Vildrac Les lunettes du lion.
Les BMM s’enorgueillissent de posséder dans leur fonds patrimoniaux ces trois ouvrages mais chérissent particulièrement une rare édition originale de Macao et Cosmage datant de 1919. Elle a été présentée lors de l’exposition Trésors des Bibliothèques de Lorraine en 1998 et à Sarrebrück en 1999 et vous pouvez découvrir l’excellent article écrit pour le catalogue de l’exposition par Didier Delaborde :
L’espérance du bonheur
ÉDY-LEGRAND (LEGRAND, Edouard-Léon-Louis dit) MACAO ET COSMAGE OU L’EXPÉRIENCE DU BONHEUR. Paris, NRF, 1919
L’année même où Marcel Proust obtient le prix Goncourt pour À l’ombre des jeunes filles en fleur, Gaston Gallimard publie un autre livre, dans lequel il est question de jeune fille et de fleurs. C’est un livre pour enfants, le premier publié par la Nouvelle Revue Française; c’est l’œuvre d’un jeune artiste de vingt-sept ans, Édouard-Léon Legrand, qui signe Edy-Legrand.
1919, donc. Au lendemain de la grande boucherie qui a duré quatre ans, le besoin de pureté, de bonheur se fait plus fort que jamais. Édy-Legrand bâtit une fable pour exprimer cette aspiration qui est celle de tous ceux qui ont vécu la boue des tranchées et les ravages de l’ypérite.
Macao et Cosmage, Adam blanc et Eve noire, vivent, seuls humains, sur une île édénique, dans une profusion de fleurs et d’oiseaux, tutoyant les animaux dans un éternel printemps. Mais un jour à l’horizon apparaît le croiseur « le Poilu », chasseur de sous-marins boches, commandé par le brave commandant Létambot. Nos deux robinsons fraternisent avec l’équipage, qui promet de revenir, la guerre terminée, sur cette île ignorée des atlas. Parole tenue. Un beau matin, un triste matin, une flottille aborde aux rivages de « l’île du coin du monde » et déverse colons, savants et militaires, qui s’abattent comme une nuée d’insectes. L’exploitation coloniale transforme le petit paradis en désert d’où les animaux ont fui, où la nature est mise en coupe réglée. Macao et Cosmage vieillissent. Macao interpelle le gouverneur : « On m’avait promis le bonheur », le gouverneur n’entend pas ce langage, il répond : « Vous vivez à l’époque des grandes inventions ; l’activité humaine sous toutes ses formes est sans limites ! Le bonheur est dans le travail ! » Macao se juge trop vieux pour apprendre le travail. Il part à pied avec Cosmage et ils finissent par trouver un minuscule endroit oublié par la colonisation, où ils pourront terminer leurs jours.
La morale de la fable est rien moins qu’ambiguë: « Enfant ! Macao était un sage… mais le gouverneur a raison ! » Quel chemin doit emprunter l’espérance du bonheur ? La voie de Macao ou celle du gouverneur ? À chaque enfant de trancher. Edy -Legrand l’avait prévenu dans sa préface: « Le seul mystère de la vie est percé, lorsque l’on sait où réside le bonheur. »
La survivance du mythe rousseauiste à l’aube des années vingt, qui préfigure la littérature scoute et ses avatars, est ici soutenue par une iconographie exceptionnelle. Jusqu’alors, le dessin était au service du texte. Édy-Legrand inverse la proposition. Les influences du fauvisme et du cubisme se font sentir dans la composition des images, coloriées à la main sur chaque exemplaire. Claude-Anne Parmégiani analyse ainsi le style graphique de cet album hors du commun : « Un trait épais cerne les figures et entraîne l’espace figuré dans un rythme que l’on a comparé à celui de la musique de jazz, lorsque ses lignes obéissent à des mouvements trépidants et syncopés, secouent la page jusqu’au vertige. Le choix des caractères typographiques intégrés à l’espace figuratif accuse encore l’impression d’accélération. En revanche l’autorité de grandes diagonales noires est calmée par des plages de blanc. Edy-Legrand utilise, bien entendu, la présence du papier à des fins expressives autant qu’esthétiques. »
Pascale C.
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