La Lorraine coule en continu

Les anges de la vallée de la Fensch chantés par Bernard Lavilliers ou célébrés par Carole Bisenius, broient du noir. Les villes au doux suffixe céleste, Hagondange, Uckange,  Gandrange, et maintenant Florange n’en finissent plus d’être crucifiées sur les calculettes de la sacro-sainte économie de marchés. À la fabrication d’un acier lorrain, à très haute valeur ajoutée, un géant indien n’incarnant pas forcément une sagesse multimillénaire oppose la notion de rentabilité.
Le P6, dernier haut-fourneau en activité de Lorraine du site sidérurgique de Florange, est à l’arrêt, en sommeil a-t-on dit…

Lorsqu’un cœur est opéré, il est refroidi doucement tout en préservant les paramètres vitaux. Celui du haut-fourneau ne bénéficiera pas de soins de maintenance. Il est éteint tout bonnement.
L’industrie lorraine n’est-elle qu’une suite de bégaiements où l’humain est sans cesse laminé, lui force vive, par la recherche du pactole alors que c’est au même que l’on demande de consommer ? 20 ans après la fermeture de l’U4 d’Uckange, l’industrie de la lorraine n’est-elle destinée qu’à être inscrite à l’inventaire des Monuments Historiques, en spécimen  pour le « tourisme industriel » ?
Les plus anciens se souviennent encore des luttes de Longwy immortalisées par la naissance de la première radio libre de France, Lorraine Cœur d’Acier, radio de la lutte, qui émettait  du sommet du crassier. D’autres, plus jeunes, des manifestations sidérurgiques et minières, très tendues souvent impressionnantes, dans les années 80-90. Un photographe en particulier, ne s’est jamais contenté du seul huis-clos de la chambre noire pour témoigner de la force industrielle, ensuite des aléas et des coups de gueule des Lorrains.
Appareil photographique à l’épaule, argentique à l’époque, Pierre Verny, ouvrier, militant syndicaliste et pacifiste engagé, a suivi au plus près les signes avant-coureurs d’un monde ardent qui s’est défait ensuite.

Exposées à la Médiathèque du Pontiffroy en 2004-2005, ses tirages noir et blanc et ceux du photographe nilvangeois, Thierry Speth, dressèrent un immense répertoire iconographique des moments-clés de l’activité laborieuse en même temps qu’un terrible et fascinant témoignage sociologique.
Avant de livrer une suite photographique liée aux manifestations, ils arpentaient le terrain dans ses mouvements fluctuants. C’est ce rapport au réel, sans dessein documentariste ni passéiste puisqu’en prise directe avec le présent d’alors, dans les zones grises ou rougeoyantes du tissu industriel, qui apporte sa force tout en finesse aux sujets immortalisés.
Fidèles à la certitude qu’une certaine photographie lorsqu’elle n’est pas que préoccupation formelle ni esthétisante, garantit une  « authenticité » du moment exploré, ils attestent du refus de la soumission à une certaine banalisation du changement.

 

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Marie-Paule Doncque

Bibliothécaire - Bibliothèques-Médiathèques de Metz

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5 comments

  1. Merci pour cette évocation juste, ce coup de gueule, Marie-Paule. Notre chez nous est mis à mal en effet. De l’Eldorado lorrain, il reste des témoignages de résistance. Les vues de Pierre Verny ainsi que les fameux chants de Yutz de feu Vodaine édités par la revue Travers en font partie. Le dernier haut-fourneau est devenu un spectacle pour touristes, les friches industrielles se sont transformées en parc d’attraction. La Lorraine musée ressemble à un cimetière américain, autre spécialité locale. Plus que jamais, la pièce de Wenzel – loin d’Hagondange – résonne dramatiquement dans les mémoires.

  2. Merci pour votre article et le fait d’avoir cité l’origine des photos pour moi et mon ami Pierre Verny. Je suis en train de mettre en forme 20 ans de photos de sidérurgie et j’espère faire sortir le livre d’ici un an.

  3. bonjour, le crassier était situé dans quelle ville? j’avais 8 ans a cet époque, il me semble,j’en ai 37 ce jour….

  4. Bonjour, Le crassier était visible à Longwy. De 120m de haut il ne passait pas inaperçu. Il fut longtemps le symbole de la résistance ouvrière et a abrité la première radio pirate française : Lorraine Coeur d’acier. Vous pouvez consulter l’ouvrage en bibliothèque :
    La mémoire de l’industrie: de l’usine au patrimoine publié par Jean-Claude Daumas/
    Il est disponible sous Google books aussi.
    Bien cordialement, Marie-Paule Doncque

  5. vous seriez mettre sur le blog ou faire passer par mail des photo du crassier de longwy ,

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