Après avoir dévoilé, dans notre premier volet, l’origine du sapin de Noël, précisons son histoire en Lorraine. Jean-Marie CUNY et Marie VALLAS, indiquent « [qu’] à la différence d’autres régions, ici [en Lorraine] nulle trace d’arbre de Noël, de luxueux réveillons ou de cadeaux échangés […]. L’atmosphère de joie et d’allégresse transparaît d’abord dans les “noëls“ ». Chantés d’âge en âge, durant près de trois siècles, ils interprètent merveilleusement le sentiment populaire : à la piété fervente s’allie une grande gaieté. » De même, la tradition de la buche de Noël dans l’âtre est établie de longue date : « [Elle] ne devait brûler que par un bout et durer de la veillée de Noël à celle de l’Epiphanie ». En voici l’illustration par Jean MORETTE dans La Lorraine de dans le temps.
Pour la Moselle germanophone, les références, peu abondantes au demeurant, concernent essentiellement des localités proches de l’Alsace (pays de Phalsbourg) : Arzviller, Buhl, Brouderdorff. Georges L’HÔTE indique que « dans les familles des villages de langue maternelle allemande, on dressait, parait et illuminait un sapin à Noël […]. Avant la guerre de 1939-1945 et surtout celle de 1914-1918, l’arbre était orné de boules, de guirlandes, de bougies de couleurs […], de gâteaux confectionnés à la maison […]. Dans les villages de langue française, la coutume de l’arbre de Noël était ignorée. […] La coutume s’implanta à partir de 1945 et ne sembla pas avoir touché toutes les communes en même temps. » Ainsi, elle gagna les villages de la vallée de la Nied française dans les années 1950 : Frémery, Oron, Chicourt, Bréhain, Château-Bréhain, Villers-sur-Nied. En revanche, Assenoncourt demeurait encore préservé à ce moment-là.
Selon Roger WADIER, c’est entre la guerre de 1870 et la première guerre mondiale que le sapin de Noël fut introduit en Lorraine. Le sapin était ancré dans les traditions allemandes, comme en témoigne cette caricature représentant George V et Guillaume II jouant à la bataille navale sous le sapin pour Noël 1908. Le dessin a été diffusé dans l’hebdomadaire satirique Kladderadatsch, alors proposé à la lecture dans la Bibliothèque de Metz. L’arrivée en France des exilés de l’Alsace-Lorraine annexée, l’influence germanique grandissante, un regain de religiosité associé à un retour de certaines références païennes, peuvent expliquer que le sapin de Noël ait pris racine à cette époque dans notre région. Lors de la première guerre mondiale, les soldats allemands auraient amplifié et consolidé le phénomène en fêtant Noël avec un sapin dans les tranchées.
Au départ, le sapin n’est pas une tradition familiale stricto sensu. En Alsace, « il ne se trouve pas dans les maisons mais dans les poêles des corporations où l’on vient fêter Noël » (C. BAILLAUD et al., Noël, l’Avent et après…). C’est au XVIIIème siècle que l’arbre commence à entrer dans l’intimité des familles. La noblesse européenne est également gagnée par cette coutume. En 1837, Hélène de Mecklembourg, une princesse allemande devenue duchesse d’Orléans, fait dresser un sapin de Noël aux Tuileries. Cependant, plusieurs sources indiquent que le premier sapin de Noël français aurait été installé à Versailles, en 1738, par Marie Leszczynska, épouse de Louis XV.
Le chant Mon beau sapin est une adaptation de l’allemand O Tannenbaum, dont la base est une vieille chanson allemande du XVIe siècle, originaire de Silésie (terre aujourd’hui polonaise). Il a été traduit dans de nombreuses langues. Dans La traversée de la nuit, où elle fait le récit de sa captivité à Ravensbrück, Geneviève DE GAULLE-ANTHONIOZ précise qu’elle a refusé de chanter Mon beau Sapin au moment de Noël. En plein cœur de la barbarie, ce chant était pour elle trop lié à la terre allemande : « Les sapins du Mecklembourg n’apportent pas d’espérance ».
L’introduction du sapin comme élément important de la fête de Noël est donc relativement récente en territoire roman. C’est en l’Alsace, terre de langue germanique, que le sapin de Noël a une tradition bien établie. La Lorraine, majoritairement romane, mais en contact avec l’espace germanique, semble avoir joué un rôle de passeur de proximité de cette tradition culturelle. Aujourd’hui, le sapin de Noël s’est répandu dans de nombreux pays du monde, devenant un incontournable de cette fête.
Pour en savoir plus :
C. BAILLAUD, G. FOESSEL, R. OBERLÉ, T. UNGERER, Noël, l’Avent et après…
Jean-Marie CUNY et Marie VALLAS, Saint Nicolas et Noël en Lorraine
Geneviève De GAULLE-ANTHONIOZ, La traversée de la nuit
Georges L’HÔTE, La Tankiote : usages traditionnels en Lorraine
Jean MORETTE, La Lorraine de dans le temps
Wolfgang PFEIFER, Etymologisches Wörterbuch des Deutschen
Friedrich SCHÖN, Wörterbuch der Mundart des saarbrücker Landes
Roger WADIER, Noëls lorrains des Avents à la chandeleur
Nicolas J.
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