Né vers 1470 à Wolfenweiler (Allemagne actuelle), Martin Waldseemüller étudia à la fois la théologie, la géographie et la cartographie. C’est à Saint-Dié qu’il exerça son activité et qu’il donna le nom d’Amérique au nouveau continent qu’on venait de découvrir. Il réalisa vers 1508 Lotharingia Vastum Regnum, la première carte en couleurs – imprimée avec trois bois gravés, encrés en vert, en rouge et en bleu tirés successivement – du duché de Lorraine. Publiée par Jean Schott à Strasbourg en 1513, c’est l’un des fleurons du fonds des cartes et plans des Bibliothèques-Médiathèques de Metz.
Ce qui est de prime abord déconcertant, c’est son orientation : le Nord est situé en bas, le Sud en haut, l’Est à gauche et l’Ouest à droite. Il est vrai que l’orientation des cartes a bien évolué au fil des siècles.
Les cartographes chrétiens figuraient l’Est au Nord. Comme furent bâties les églises anciennes, les cartes se dirigeaient vers l’Est, elles « s’orientaient » donc vers le lever du Soleil, Jérusalem, le Christ et le Paradis terrestre. La carte qui nous occupe représente une orientation… politique ! Nous voyons d’abord Nancy, située au Nord et non au Sud, avant Metz, car c’est la capitale du duché de Lorraine. Les deux villes de Nancy et de Saint-Nicolas-de-Port sont indiquées juste sous l’appellation en rouge Lotharingia qui, avec celle de Vastum Regnum précise le territoire de la carte.
Au XIIIe siècle, le territoire se nommait Westrich. Ce terme qui vient de « Westerreich », royaume de l’Ouest, était le pendant de l’Österreich, le royaume de l’Est (Autriche). Martin Waldseemüller le nomme, par un jeu de mots, Vastum Regnum, c’est-à-dire « Vaste Royaume » que connotent les sous-entendus de vide et de disponibilité, de place à prendre. Sa signification antérieure d’Ouest du Palatinat ouvrait à son annexion par celui-ci. Dorénavant, il est disponible pour la Lorraine.
Les nombreux blasons qui entourent la carte sont ceux des comtés et baronnies assujettis au duc de Lorraine, la carte étant bien une figuration de son pouvoir. Les comtés du Westrich sont, au Sud, Blâmont, Salm et Rechicourt, au nord, Sarrewerden, Sarrebruck et Deux-Ponts alors qu’a été oublié le fief des comtes de Dabo, alloué à plusieurs seigneurs depuis un moment. Y sont adjointes sept baronnies : Parroy, Sierck, Bénestroff, Lutzelstein (La Petite Pierre), Boulay, Fénétrange et Bitche, auxquelles il manque Créhange, probable oubli. Cet espace correspond assez précisément aux territoires actuels du Saulnois, de la Lorraine allemande, de l’Alsace Bossue, de la Sarre et du Sud-Ouest du Palatinat.
Est donnée ici une vision erronée d’un duché de Lorraine uni où les juridictions sont claires. Or c’est sans compter les souverainetés partagées à plusieurs, dans le duché où se trouvaient aussi des terres appartenant au Royaume de France ou au Saint Empire Romain Germanique. Ainsi, Metz, Toul et Verdun et les terres qui en dépendaient relevaient de ce dernier.
La carte exclut des possessions ducales Verdun et le Barrois, reflétant en cela une réalité, ces terres se trouvant nettement sous l’influence française, pays qui bloquait toute ambition lorraine sur la frange occidentale de son territoire. Par le traité de Bruges (1301), le comte Henri III de Bar, fait prisonnier par Philippe le Bel, dut prêter hommage au roi de France pour ses terres situées à l’Ouest de la Meuse et formant le Barrois Mouvant. Cet hommage ne s’appliquait pas pour lui et ses successeurs en ce qui concernait le Barrois Non Mouvant, avec Saint Mihiel comme capitale. En 1479, le roi de France réaffirma ses droits sur lesdites terres en demandant à leurs habitants de faire appel au Parlement de Paris pour leurs affaires de justice. Il souhaitait ainsi accentuer son influence sur le duché de Bar. La question du Barrois Mouvant constituait une tentative d’incursion de la France en Lorraine .
Metz, Toul et Verdun étaient des villes impériales. Leurs diocèses, c’est-à-dire les territoires sur lesquels s’exerçait le pouvoir épiscopal, se situaient dans le duché et au-delà. Pour s’assurer un soutien et empêcher qu’une autre puissance y prenne pied, les ducs de Lorraine s’arrangèrent pour que leurs proches occupent ces évêchés, comme le fils de René II, le cardinal Jean de Lorraine, évêque de Metz en 1505, de Toul en 1517, puis de Verdun en 1523.
Ce qui caractérisait alors le duché lorrain, c’était sa situation d’Entre-Deux. Une des grandes préoccupations de René II de Lorraine est, dès 1474, la menace de la Bourgogne. Le duc Charles le Téméraire souhaite alors acquérir de nouvelles terres, dont la Lorraine. Le 22 août 1475, il explique qu’il va conquérir le maillon manquant entre « les pays de Bourgogne » et les « pays de par deça », les Flandres. Après sa disparition, le 5 janvier 1477, lors de la bataille de Nancy, c’est le futur Charles-Quint qui hérite de ses possessions. René II choisit alors entre un Empereur distant et un roi français attentif à la partie orientale de son État, de se rapprocher plutôt de ce dernier. Ainsi, son fils aîné, Antoine, fut élevé à la Cour de France. Claude, son second fils, fonda une nouvelle maison lorraine, possessionnée en France. Antoine et Claude firent des mariages français. Enfin, les deux princes lorrains choisirent d’accompagner les rois de France durant les guerres d’Italie.
Les frontières sont représentées sur la carte non par des lignes mais par des zones de montagnes ou de forêts, colorées en vert, ainsi que les fleuves. Il s’agit de zones créées de toutes pièces et non de figuration réaliste du relief existant à cet endroit. Le duché de Lorraine est ici artificiellement dégagé de toute forêt. L’espace ainsi enserré suggère une communauté historique et de destin et ignore totalement les morcellements de souveraineté. Les montagnes et forêts se prêtent à une matérialisation de frontières au-delà desquelles sont indiqués Trèves au Nord, l’Alsace à l’Est, la Meuse à l’Ouest et les Vosges au Sud. La carte figure donc un rassemblement territorial voulu, le jalon d’une ambition.
Ces notions de zone-frontière se retrouvent aujourd’hui diluées dans de nouveaux espaces. La Lorraine est englobée dans une Grande Région de coopération trans-frontalière Saar-Lor-Lux, puis, depuis 2016, associée à l’Alsace et la Champagne-Ardenne dans une nouvelle région. Autrefois zone-tampon où les frontières avaient toute leur importance, tantôt d’influence, tantôt de neutralité, elle est aujourd’hui zone de passage, surtout tournée vers les autres et vers l’avenir.
Pour aller plus loin:
- Les Pays de l’Entre-Deux au Moyen Age : questions d’histoire des territoires d’Empire entre Meuse, Rhône et Rhin – MINISTERE DE L’EDUCATION NATIONALE – Actes du 113e Congrès National des Sociétés Savantes (Strasbourg, 1988) – Paris, éditions du C.T.H.S., 1990 (Médiathèque Verlaine – IN-8 10963 )
- La Lorraine pour horizon : la France et les duchés, de René II à Stanislas / Laurent JALABERT et Pierre-Hippolyte PENET .- Silvana Editoriale, 2016 (Médiathèque Verlaine – LO 940.2 JAL)
Véronique P.
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