Episode 4/4 : Des éditions populaires aux éditions « libres »
À côté des éditions de luxe, des éditeurs opportunistes ont rapidement vu dans les recueils érotiques de Verlaine une occasion de profits possibles. Ces éditions sont moins sophistiquées, les papiers sont moins nobles, mais les artistes auxquels elles font appel ne sont pas négligeables. Elles s’adressent à un public d’amateurs versés dans les curiosa. Le marché du livre érotique est florissant dans la première moitié du XXème siècle ; la lithographie et la photographie permettent aisément la reproduction d’images en regard des textes tandis que les images cinématographiques restent d’un usage privé difficile. C’est pourquoi, de la presse polissonne aux romans délurés, en passant par les classiques de l’érotisme, des circuits commerciaux spécialisés se sont mis en place — à l’abri, espèrent-ils, des regards de la police et des ligues de vertu.
Les poèmes érotiques de Verlaine, parce qu’ils sont d’un poète reconnu, ajoutent une touche de respectabilité aux catalogues d’éditeurs qui ne la mérite pas forcément.
Les mentions d’édition sont parfois fantaisistes : « imprimé sous le manteau et ne se vend nulle part ». Quand bien même l’éditeur en est Léon Vanier, qui a édité la majeure partie des recueils de Verlaine. La police n’est pas dupe, mais ne poursuit pas pour si peu. Les clients de ces publications étant plutôt des lettrés nantis, il n’y a pas de danger social à les laisser assouvir leurs penchants pour les curiosa. Et poursuivre une édition de Verlaine se révélerait rapidement ridicule, nous ne sommes plus à l’époque de Baudelaire.
Certaines pièces de Verlaine peuvent cependant, à bon droit, être qualifiées de pornographes, à commencer par le célèbre Sonnet du trou du cul, coécrit avec Rimbaud. Ces poèmes, du vivant de Verlaine, sont restés confidentiels. Ainsi, il avait pris la précaution de publier Les Amies sous le pseudonyme du licencié Pablo de Herlagnez, de Ségovie en 1868. Plus tard, il est moins prudent, ou plus indifférent et Hombres, son recueil le plus scandaleux paraît sous son nom. Après sa mort, plus de retenue, les éditeurs spécialisés dans la littérature du second rayon, jouent de son patronyme, de sa réputation de « Prince des poètes » pour attirer le chaland.
Certaines de ces éditions secrètes ou clandestines rejoignent l’enfer de la Bibliothèque nationale, mais beaucoup ne sont pas repérées, n’ayant pas été soumises au dépôt légal.
À partir des poèmes les plus crus de Verlaine, les artistes s’en donnent à cœur joie. Jusqu’aux années 1970, ces éditions restent discrètes, se vendant dans l’arrière-boutique de librairies spécialisées. Depuis, plus rien ne vient contraindre l’illustrateur ni l’éditeur et chacun a pu trouver les éditions les plus récentes sans avoir dû ruser avec la légalité.
Le répertoire entier des représentations pornographiques a été visité par les artistes qui ont illustré le dernier Verlaine. Exhibitions, masturbations, irrumations, gamahuchages, coïts homo- et hétérosexuels, la rhétorique pornographique est éternelle, et les vers du poète permettent d’en faire une recension. D’ailleurs, le poète lui-même est souvent figuré dans ces illustrations, son visage particulièrement faunesque inspirant les dessinateurs. D’autres parties de son anatomie sont aussi représentées, avec la majesté qui convient en ces situations.
C’est cet autre Verlaine qui se révèle dans des volumes longtemps cachés que les Bibliothèques-Médiathèques de Metz ont partagé avec vous.
Didier D.
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