Grainothèque : rencontre avec un maraîcher bio

En 2017 les BMM profitent du printemps pour proposer tout un programme « Nature & jardins » : ateliers, lectures, rencontres… et grainothèque ! Une grainothèque, c’est quoi ? C’est un partage libre de graines basé sur l’échange et la gratuité. Toutes les graines sont les bienvenues : légumes, fruits, fleurs, aromates, de variétés anciennes et traditionnelles, tant que les graines n’ont subi aucun engrais chimique, qu’elles sont matures, reproductibles et ne sont pas des hybrides F1* !

Le 25 mars, à la médiathèque du Sablon, une conférence/atelier « graines et semis » a eu lieu avec Vincent Olry, maraîcher bio, permaculteur, en cours d’installation à Gorze. Nous avons profité de sa présence pour réaliser une interview que nous vous livrons ici.

• Vous êtes maraîcher bio en cours d’installation et membre de l’association L’Or des Graines. Comment devient-on maraîcher bio ?
Tout d’abord par conviction, par militantisme, par amour de la Vie (« bios » en grec !), de la nature, de l’Humain, par élan de prendre soin de soi, de nos congénères et des autres espèces avec qui nous partageons cette belle Terre. Ensuite, d’après moi il n’y a pas de règle : celles et ceux qui décident de s’installer avec la dotation aux jeunes agriculteurs (DJA) versée par l’État doivent remplir 3 conditions :
– être âgés de moins de 40 ans au moment de leur installation ;
– disposer d’un diplôme reconnu par le ministère de l’agriculture ;
– réaliser un plan de professionnalisation personnalisé (PPP) lequel comprend un plan de développement de l’exploitation (PDE), prévisionnel contraignant sur une durée de cinq ans, et des stages auprès de la chambre d’agriculture de leur département.
Il est également possible de s’installer sans la DJA, comme c’est mon cas pour l’instant.
La plupart des maraîchers bio de Lorraine (passés de 8 en l’an 2000 à plus de 130 aujourd’hui !) sont passés par le brevet professionnel Responsable d’exploitation agricole (BPREA) « maraîchage bio » dispensé par l’établissement public d’enseignement et de formation agricole de Courcelles-Chaussy, en étroite collaboration avec le Centre de groupements des agrobiologistes de Lorraine (CGA).

• En quoi consiste l’association L’Or des Graines ?
L’Or des Graines est née de la volonté de paysans-boulangers bio lorrains de regagner en souveraineté et en autonomie sur les variétés de céréales qu’ils cultivent et transforment. Ils se sont réunis pour procéder collectivement à des expérimentations de conservation au champ (pas dans des frigos !) de blés dits « anciens », issus de variétés-populations (càd. ni ‘hybrides’ ni issus de lignées pures), plus rustiques, plus résistants aux maladies, mieux adaptés à leurs terroirs, ne nécessitant aucun traitement pesticide, plus digestes, etc.
Ils furent rapidement rejoints par des jardiniers amateurs désireux de conserver et d’échanger des variétés potagères, puis enfin par des maraîchers.
Outre l’expérimentation in situ, l’adaptation et la multiplication des variétés, l’association s’emploie à diffuser les savoirs et savoir-faire de ses membres, à accroître ces connaissances par l’organisation de formations et de visites, à informer nos concitoyens sur nos droits et sur les dangers, notamment en terme de souveraineté semencière, donc alimentaire, de l’accaparement des semences par quelques firmes multinationales (‘hybrides F1’, OGM, brevets sur le vivant, certificats d’obtention végétale…), aidées en cela par les législations successives rendant de plus en plus contraignantes, voire carrément illicites, les pratiques ancestrales de reproduction des plantes vivrières, à assurer une veille juridique sur ces questions, etc.
L’Or des Graines est membre du Réseau Semences Paysannes.

• Quel est l’enjeu autour des graines ?
Les variétés nourricières ont été obtenues et sélectionnées pendant quelques milliers d’années, de l’avènement de l’agriculture jusqu’à nos jours, de manière « naturelle », par simple croisement sexué de variétés différentes de la même espèce, dont on s’échangeait des semences entre voisins et communautés, s’enrichissant mutuellement d’une plus grande diversité — notamment génétique, en évitant une « consanguinité » pouvant conduire à une dégénérescence. Aujourd’hui, les entreprises ultracapitalistes sus-nommées fabriquent de nouvelles chimères (OGM, CMS) ou des clones dégénérés (‘hybrides F1’, lignées pures) non reproductibles physiologiquement et/ou légalement, car propriétés de leur obtenteur. Or leurs plantes, fussent-elles bricolées, proviennent bien, peu ou prou, de plantes sauvages domestiquées par l’Humain depuis la préhistoire (gènes gratuits) et du travail de sélection et de transmission gratuits de nos ascendants. Accepter cette spoliation de biens communs de l’Humanité revient à conférer les pleins pouvoirs à ces géants industriels prédateurs : s’ils contrôlent les semences, ils contrôlent notre alimentation, tant en terme de qualité, que de quantité, d’approvisionnement, etc.

• A quoi faut-il faire attention lorsque l’on fait ses propres graines ?
En termes juridiques, la question se pose différemment selon qu’on est jardinier amateur ou agriculteur. En tant qu’amateurs, vous pouvez échanger à loisir des graines, en toute légalité. Pour les agriculteurs, c’est plus complexe et je vous renvoie au site régulièrement mis à jour du Réseau Semences Paysannes.
En termes de conservation des variétés, il est important de connaître le mode de pollinisation des espèces que l’on cherche à multiplier : si elles s’autopollinisent (plantes autogames) ou sont pollinisées par le pollen de plantes voisines (allogames) transporté par les insectes (entomogames) ou par le vent (anémogames), on procédera différemment. Dans le cas des plantes allogames, il sera nécessaire pour éviter les croisements entre variétés de la même espèce d’isoler les plantes ou, à défaut de l’espace nécessaire (parfois plusieurs kilomètres de distance!), d’isoler les fleurs, par exemple au moyen de sachets en papier.
Lors de vos échanges de graines, je vous recommande vivement de noter, en plus du lieu et de l’année de récolte, les conditions d’obtention de vos graines, comme par exemple : distance entre deux variétés de la même espèce, isolement des fleurs, pollinisation manuelle… pour éviter les mauvaises surprises. L’Or des Graines travaille actuellement à la mise au point de protocoles facilitant ce travail.

• Peut-on récolter n’importe quelles graines ?
Comme je le disais plus haut, si les fleurs n’ont pas été isolées chez des plantes allogames (comme les courges, courgettes…) il y aura forcément croisement. Si vous ne cultivez, par exemple, qu’une variété de potimarron (espèce = Cucurbita maxima var. ‘Uchiki kuri’, par exemple) et que le premier voisin est à 5 kilomètres, laissez donc la nature œuvrer pour vous ! Si en revanche, une autre courge maxima est cultivée à proximité, vous obtiendrez non pas un croisement des deux, mais de nombreuses variantes, alliant les caractères, exprimés ou non (gènes récessifs hérités de leurs propres parents, des parents de leurs parents…), de l’un et l’autre des parents. Ce qui donne parfois des courges amères et immangeables… et parfois le début de la création d’une nouvelle variété, qu’il faudra stabiliser en quelque 8 ou 9 générations !
Pitié pour les cop(a)in(e)s jardinier(e)s : n’offrez pas les graines récupérées dans la citrouille achetée chez le vendeur du coin ! Qui sait du reste si elle n’est pas ‘hybride F1’ …

• Que faut-il faire pour récolter et conserver ses graines dans de bonnes conditions ?
Adhérez à L’Or des Graines ! (rire) Et procurez-vous un des multiples ouvrages enseignant l’art de la reproduction des plantes alimentaires et rendez visite à des jardiniers ou paysans bio expérimentés !

• Pouvez-vous nous donner une ou deux astuces que vous utilisez lorsque vous faites vos plantations ?
Grand débutant en maraîchage, je manque encore d’expérience. Pour l’instant c’est moi qui pioche chez les collègues et ami(e)s jardinier(e)s les idées que j’expérimente, critique, fais miennes ou délaisse. Je cherche à maintenir couvertes mes planches de culture avec les matériaux végétaux qui me tombent sous la main (tronçons de rameaux, herbes sèches, feuilles mortes, paille bio…) pour limiter l’évaporation, l’impact de la pluie et du soleil, les dégâts causés par les chats… J’ajoute un conseil d’ordre général : organisons-nous collectivement : échangeons, échangeons, échangeons ! Les savoirs et savoir-faire paysans et jardiniers se transmettent in vivo, par la rencontre, le dialogue, l’expérience partagée. 


Pour aller plus loin, visitez sur le web :
Le Réseau Semences Paysannes
L’association L’Or des Graines
Graines de Troc, plateforme d’échanges de graines, porteuse des grainothèques en France


* « On appelle hybride F1 la première génération d’un croisement de deux plantes. Sous la forme commerciale, les graines F1 donnent des plantes clones aux caractéristiques aguicheuses. Cependant, attention, les graines issues de telles plantes ne conservent pas leurs caractéristiques, et seront inintéressantes au potager. Il n’est pas envisageable de conserver et donc d’échanger ces variétés sur un système comme le nôtre. » (Source : Graines de Troc)

Pour d’autres conseils, n’hésitez pas à consulter la bibliographie grainothèque des BMM. Et rendez-vous très bientôt pour un nouvel article grainothèque sur le blog !

 

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Marianne V.

Bibliothécaire - Bibliothèques-Médiathèques de Metz

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