Jason Van Gulick, explorateur de sons

De la recherche acoustique aux explorations de la résonance, Jason Van Gulick, batteur, percussionniste, compositeur, est un chercheur de son, occupant l’espace de manière sinueuse. Le rythme et la cadence sont remaniés en performance sonore : si le free open metal existait, il en serait le chef de file. 
Le samedi 4 février, à la Médiathèque Verlaine de Metz, nous aurons le grand plaisir de le recevoir. L’entretien d’avant-concert vous permettra de mieux le connaitre et de découvrir son univers musical.

Cet entretien croisé  est  l’occasion de mettre l’accent sur l’association Fragm/ent qui, grâce à son engagement culturel et sa programmation de qualité, est devenue une référence dans le milieu des musiques improvisées ; Les Bibliothèques-Médiathèques de Metz collaborent avec Fragm/ent pour proposer une offre renouvelée à la Médiathèque Verlaine ; cette année trois concerts y sont prévus ; nous sommes toujours impatients de découvrir des artistes qui détonent, réveillent notre esprit et nos oreilles. Afin de prolonger cette démarche, nous avons choisi de développer une offre en musiques expérimentales / improvisées qui fait particulièrement écho aux concerts proposés. Merci à Fragm/ent et à Fabrice Schmitt pour son flair de programmateur !

Jason Van Gulick

Interview de Jason Van Gulick

Pourriez-vous nous présenter votre parcours en quelques mots ?

« J’ai commencé la batterie à 15 ans, sans aucune formation musicale préalable. Pur autodidacte, j’ai donc directement pratiqué dans plusieurs groupes de rock qui m’ont fait évoluer vers des musiques de plus en plus « musclées ». J’ai, avec le temps, ouvert mes influences en diversifiant les styles et ressenti le besoin de me former un peu plus sérieusement. A mon arrivée à Lille en 2001, j’ai découvert la musique improvisée et expérimentale, c’est à ce moment que le désir d’une pratique plus personnelle de mon instrument s’est imposé. C’est seulement à partir de 2008 et plus particulièrement avec mon emménagement à Bruxelles en 2009 que j’ai décidé de concrétiser un projet en solo. La liberté culturelle inhérente à cette ville m’a permis de tester plus facilement plusieurs formes. J’ai tenté d’y rassembler et confronter mes influences sans me mettre de limite. Je voulais travailler l’improvisation avec l’énergie du rock,  en y introduisant des processus d’expérimentation sonore électro-acoustique. Depuis je suis revenu à un travail plus acoustique qui met en relation les percussions et l’espace.

Que signifie être un musicien expérimental, et comment vous situez-vous dans le contexte musical actuel ?

Je ne me suis pas de moi-même engagé dans un contexte « expérimental ». Je me méfie justement de ce que ce mot tend parfois à désigner car j’ai souvent remarqué que, suivant le pays ou la ville où l’on se trouve, il peut prendre un sens et une forme très différents. Dans mon parcours, j’ai rapidement voulu ne pas m’enfermer dans une «caste» musicale et c’est peut-être là que le terme expérimental peut prendre du sens : dans la notion de naviguer entre les mouvances et les styles établis en modifiant les codes et les pratiques. Pour moi, tout cela pourrait être pris au 1er degré, c’est à dire que j’expérimente tout simplement.

Je me sens proche de musiciens comme Fritz Hauser ou Lê Quan Ninh et plus généralement de musiciens qui travaillent avant tout sur l’acoustique de l’instrument en donnant une certaine importance à l’improvisation, l’espace, le geste sonore, la scénographie. Je m’intéresse autant à l’improvisation qu’à la composition contemporaine et à l’art sonore. Je continue en parallèle à jouer dans des projets beaucoup plus rock. Ils contribuent à me donner un équilibre dans ma pratique de musicien.

Quel est pour vous l’enjeu de l’expérimentation ?

L’expérimentation est un support, je l’associe à la recherche : le travail des sons, des modes de jeux, l’improvisation… Elle peut servir à aborder d’une autre façon le son que l’on produit, à sortir des modes de composition que l’on applique instinctivement. Il est difficile de consciemment proposer de nouvelles choses. Je me retrouve dans ce courant sans vraiment comprendre pourquoi. Peut-être car je ne suis pas forcément classable. Mes projets prennent des formes variées, je vais piocher dans différents systèmes et formes musicales. J’essaye de ne pas limiter ces recherches, et ce processus pourrait paraitre de ce fait « expérimental ». Je cherche à travailler sur une musique non formatée, ouverte et personnelle.

Pouvez-vous nous parler de votre processus de création ?

Il est bien sûr différent suivant les projets que je prépare. Mes projets partent d’une envie forte qui se matérialise à certains moments. Parfois cela peut mettre du temps ; je ne suis pas pressé, j’ai besoin de laisser s’affirmer les idées avant de les concrétiser. Après pour la composition, beaucoup de choses se passent dans l’improvisation, la répétition, l’essai. Je garde le meilleur, ce qui est essentiel et adapté aux projets. Cela demande du recul, des enregistrements pour réécouter. Par la suite je peux la confronter dans une résidence ou directement lors d’une prestation scénique. C’est dans cet instant, ces moments de tension que tout prend son sens. Chaque prestation me prépare à mieux définir la prochaine et donne d’autres directions possibles. 

Quel est votre rapport à l’art en tant que musicien ?

L’art est important pour moi, mais pas essentiel. Je ne prends que très peu de références dans l’art en général pour « nourrir » ma création.  Je fais quelques va-et-vient dans ce qui se passe musicalement en essayant en même temps d’enrichir mes connaissances historiques dans ce domaine. Cela m’aide à mieux situer ma pratique musicale et les concepts que je travaille.

J’avoue avoir assez de mal avec le monde de l’art aujourd’hui, la marchandisation, la conceptualisation exagérée, le manque de sérieux. Je trouve que beaucoup de travaux sont souvent trop codifiés. Les nouvelles technologies amènent parfois une distance et une dématérialisation du travail artistique. J’ai besoin d’un rapport direct et physique, que cela me touche sans discours, ni explications. Je relie très peu mon travail à d’autres formes d’art. Exception faite à l’architecture qui depuis quelques années est revenue dans ma vie et influence la forme de mes projets. 

Toutefois j’aime travailler avec d’autres artistes et ouvert à la transdisciplinarité. Comme avec les vidéastes Gast Bouschet et Nadine Hilbert avec qui j’ai collaboré en 2014 pour leur exposition au Casino Luxembourg. Leurs productions et leur vision artistique me touchent profondément et nous continuons sous différentes formes à collaborer.

Existe-t-il une idée de sculpture du son,  définissant  une notion de performance lors de vos concerts ?

 On pourrait dire cela, mais je pense plutôt à l’occupation de l’espace par le son. Les phénomènes acoustiques que cela peut induire et même parfois l’émotion que tout cela peut provoquer. La notion de performance arrive dans mes concerts par l’implication physique et mentale que je dois y mettre. Je dois me concentrer avant et rester dans la musique jusqu’au bout, si je lâche, la musique n’est plus la même. Je me dois d’investir totalement l’espace physique et temporel qui m’est donné.

Je pense aux liens entre le champ musical et le champ des arts plastiques : comment les définissez-vous ?

Pour moi, ce serait deux pratiques très différentes. La sculpture musicale se pratique en direct, en concert. Elle se modèle sur le moment avec tous les éléments qui vous entourent et vous font réagir (espace, qualité acoustique du lieux, public, votre état mental et physique…). Elle prend sa forme par l’expérimentation en direct, c’est à dire par l’improvisation. Pour les arts plastiques je penserais plus à un travail en solitaire, en atelier avec un concept fort. En amont d’un résultat qui serait exposé. Mais c’est peut-être une vision erronée et non actuel de cette discipline.

Y a-t-il des lectures, des auteurs,  qui ont influencé vos expérimentations musicales ?

En ce moment je relis quelques ouvrages que je m’étais procuré en 2014. C’est une série de courts écrits sortis chez Mômeludies éditions. Notamment le fameux « Improviser Librement »  de Lê Quan Ninh sur la notion d’improvisation, ainsi que « Corps, son et geste » de Jacques Demierre qui met en relation la notion de composition et d’improvisation. Des lectures très intéressantes  qui me permettent de nourrir mes réflexions quant au développement de ma pratique instrumentale et d’envisager de prochaines évolutions dans mon travail.

Quels sont vos projets ?

Pour l’instant je me concentre sur la réalisation de mon second album qui sortira courant 2017. C’est une étape importante pour moi car j’ai commencé à travailler dessus en juillet 2015 et le moment est venu de le finaliser. Il sortira sur le label belge Consouling records qui est plutôt orienté post-métal mais qui reste ouvert à des musiques plus « expérimentales ». La pochette sera un visuel de Gast Bouschet comme pour mon 1er album. Je prépare aussi pour mai 2017 l’installation sonore « AD LIBITUM 40_208 » pour le festival Elektricity à Reims. Elle a été créée et déjà exposée à City sonic à Mons en 2015. 

Avez-vous des recommandations musicales ?

La dernière sortie de Fritz Hauser sur Neu records : Different Beats. C’est une collaboration avec l’ensemble We Spoke composé de jeunes percussionnistes suisses et anglais. 

Et dans un tout autre genre le groupe LOCRIAN de Chicago pour qui j’ai ouvert l’année dernière à Bruxelles. Un combo à la limite de l’expérimental et du black métal moderne ! Le batteur, Steven Heiss, officie aussi en solo dans l’improvisation et l’expérimental. »


Rendez-vous à la Médiathèque Verlaine le samedi 4 février à 16h !

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Maryll R.

Bibliothécaire - Bibliothèques-Médiathèques de Metz

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