La poésie française au féminin

La poésie française se décline au féminin en ce 8 mars, journée internationale des Femmes. Et elle se déplace dans le temps, au gré de la vie des femmes qui l’ont portée. Notre voyage part de Metz, où naquit à la fin du 18ème siècle la poétesse Amable Tastu. Dans le poème Plainte, particulièrement émouvant, elle exprime le sentiment de l’irréparable face à la fuite du temps, l’incertitude des relations et l’instabilité des êtres. Il fut publié dans son recueil de Poésies nouvelles en 1835.

Plainte

Ô monde ! ô vie ! ô temps ! fantômes, ombres vaines,
Qui lassez, à la fin, mes pas irrésolus,
Quand reviendront ces jours où vos mains étaient pleines,
Vos regards caressants, vos promesses certaines ?
Jamais, ô jamais plus !

L’éclat du jour s’éteint aux pleurs où je me noie :
Les charmes de la nuit passent inaperçus ;
Nuit, jour, printemps, hiver, est-il rien que je voie ?
Mon cœur peut battre encore de peine, mais de joie
Jamais, ô jamais plus !

Manuscrit du poème « Plainte » d’Amable Tastu, tiré de « Documents divers pour la plupart autographes. – MS 1655 » – Collection BMM

En écho à la plainte d’Amable,  nous vous proposons de remonter aux sources de la poésie féminine de notre langue.

Avec Louise Labé, tout d’abord, la « Belle Cordière » de la Renaissance. On a commémoré les 450 ans de sa mort en 2016. Voici un de ses plus beaux sonnets, à l’orthographe modernisée, qui pourrait avoir naturellement nourri l’inspiration d’Amable :

Sonnet XIV

Tant que mes yeux pourront larmes épandre
A l’heur passé avec toi regretter,
Et qu’aux sanglots et soupirs résister
Pourra ma voix, et un peu faire entendre ;

Tant que ma main pourra les cordes tendre
Du mignard luth, pour tes grâces chanter ;
Tant que l’esprit se voudra contenter
De ne vouloir rien fors que toi comprendre,

Je ne souhaite encore point mourir.
Mais, quand mes yeux je sentirai tarir,
Ma voix cassée, et ma main impuissante,

Et mon esprit en ce mortel séjour
Ne pouvant plus montrer signe d’amante,
Prierai la mort noircir mon plus clair jour.

Louise Labé (publication en 1555)

Timbre en l’honneur de Louise Labé à l’occasion des 450 ans de sa mort en 2016

Avec Christine de Pizan (ou Pisan), c’est jusqu’au Moyen Âge que nous allons trouver les racines de l’inspiration féminine face aux sentiments de solitude et de perte. Mais c’est aussi une aspiration à la compagnie amoureuse, à la joie de vivre, qui peuvent se lire à travers ses vers. L’orthographe a été également modernisée.

Ballade

Seulette suis et seulette veux être,
Seulette m’a mon doux ami laissée.
Seulette suis, sans compagnon ni maître,
Seulette suis, dolente et courroucée,
Seulette suis, en langueur malaisée,
Seulette suis, plus que nulle égarée,
Seulette suis, sans ami demeurée.

Seulette suis à huis ou à fenêtre,
Seulette suis en un anglet muciée,
Seulette suis pour moi de pleurs repaître,
Seulette suis, dolente ou apaisée,
Seulette suis, rien n’est qui tant me sied,

Seulette suis, en ma chambre enserrée,
Seulette suis, sans ami demeurée.

Seulette suis partout et en tout être,
Seulette suis, que je marche ou je sieds,
Seulette suis, plus qu’autre rien terrestre,
Seulette suis, de chacun délaissée,
Seulette suis, durement abaissée,
Seulette suis, souvent toute éplorée,
Seulette suis, sans ami demeurée.

Princes, or est ma douleur commencée
Seulette suis, de tout deuil menacée,
Seulette suis, plus teinte que morée,
Seulette suis, sans ami demeurée.

Christine de Pisan

→ Suivez l’actualité poétique des Bibliothèques Médiathèques de Metz :
le Printemps des Poètes

→ Les documents empruntables dans le catalogue des BMM  :

A lire :
• Cent ballades d’amant et de dame
Christine De Pisan
Union générale d’éditions, 1982
• Oeuvres poétiques
Louise Labé
Gallimard, 1989
• Oeuvres complètes
Louise Labé
Droz, 1981
• Louise Labé, dame de franchise : Sa vie, son oeuvre, le texte des élégies et sonnets, son entourage littéraire
Fernand Zamaron
Nizet, 1968

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Nicolas J.

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1 comment

  1. Très bel article. Merci !

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