A la fin du XIIe siècle, le mot retrenchemant apparait en français dans les Sermons de saint Bernard (1), pour signifier «suppression de quelque partie d’un tout. ». En 1587, il porte dans les Discours politiques et militaire de François de La Noue (2), le sens nouveau d’ « ouvrage de défense ».
Le mot « Retranchement » qui traduisait depuis le XIIe siècle au moins, la suppression d’un élément désigne donc également, à la fin du XVIe siècle, un ouvrage défensif. L’origine de cette extension du sens se rencontre en fait pour la première fois, à notre connaissance, dans la relation du siège de Metz donnée par Bertrand de Salignac en 1553 (3).
Metz, qui jusqu’aux traités de Munster (1648) appartient en droit au Saint Empire romain germanique, est occupée depuis le 21 avril 1552 par les armées du roi de France, Henri II. Celui-ci y avait laissé 3400 gens de guerre sous le commandement d’un gentilhomme de sa chambre, le seigneur de Gonnor (4) nommé gouverneur de la cité. D’emblée, le gouverneur avait commencé une nouvelle fortification, à l’endroit où l’on « retranchait » la ville, c’est à dire que l’on y démolissait un quartier entier pour y édifier deux boulevards (bastions), reliés par une courtine.
Le journal du siège rapporte que c’est en effet tout un quartier de la ville qui fut ainsi supprimé (premier sens de retranché) : « on vint à abattre plusieurs maisons, en commençant premièrement à la Basse Seille, et allant toujours de travers, tout jusqu’aux Pieds deschaulx (les franciscains de l’Observance dits Frères Baudes) et jusqu’à la muraille de la ville ; et firent des merveilleux remparts de terre d’un coté et d’autre, jusques aux Carmes, et fut la ruelle des Carmes estouppée (comblée) toute de terre. Et furent abattues toutes les maisons, tant d’un coté que d’autre, jusqu’à la paroisse Saint Hilaire et même ladite paroisse. Le couvent des Pieds deschaulx fut abattu ainsi que l’église, et toutes les maisons à l’entour des Sœurs Collettes, et plusieurs maisons en la rue, et disaient que toute la rue s’en irait par terre ».
A partir du 17 août 1552, le roi de France qui, informé des préparatifs d’attaque de l’Empereur Charles Quint, venait de nommer François de Guise son lieutenant général à l’arrivée de Guise à Metz, les ouvrages n’étaient guère avancés « en raison du peu de gens qu’on y employait, à cause que l’on n’estimait le danger être si prochain … Quatre ou cinq jours après la venue de Monsieur de Guise arriva le seigneur Pierre Strozzi, chevalier de l’ordre, personnage de grande suffisance, que Monsieur de Guise avait demandé au Roy, connaissant sa vertu, expérience et bon conseil es choses d’importance : avec lequel, & les Seigneurs de Gonnor, de Sainct Remy et Camille Marin, fort experts & entendus en fait de fortifications, il visita diligemment tous les endroits de la ville, puis, ayant reconnu leurs défauts et faiblesses, les plus pressées et nécessaires fortifications furent poursuivies, comme le haussement de la courtine, & deux boulevards du retranchement, afin d’être à couvert de la montagne Dézirmont, ou autrement de la Belle croix, où l’on craignait que l’ennemi dût faire son premier effort ». La fortification porta dès lors le nom de « Retranchement de Guise » (au second sens de retranchement), qu’elle conserva officiellement jusqu’en 1871, c’est-à-dire pendant toute la période française et officieusement jusqu’à sa destruction en 1904.
C’est ainsi que les « boulevards » désignent aujourd’hui les espaces dégagés pour la circulation qui succédèrent au démantèlement de ces fortifications élevées contre l’artillerie (Bollwerck); tandis que les retranchements, de lieux ruinés et vidés, évoquent à présent des constructions militaires (ou mentales) défensives…
1) Saint Bernard, Sermons sur le cantique des cantiques et sur les divers noms du Christ.
2) Fr. de La Noue, Discours politiques et militaires, p. 339 de l’exemplaire numérisé sur Gallica.
3) Bertrand de Salignac de la Motte Fénélon, Le siège de Mets, en l’an MDLII, Paris Charles Estienne, 1553.
4) Artus de Cossé-Brissac (1512-1582), comte de Secondigny, fait maréchal de France en 1567.
Sur le siège de Metz, voir aussi : Paré, siège de Metz.
Pierre-Édouard W.
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27 juin 2016 à 14 h 05 min ·
Merci pour cet excellent article décrivant simplement un cas de dérivation sémantique.
Serait-il possible de connaître la référence de l’occurrence « retrenchemant » dans les Sermons sur le cantique des cantiques et sur les divers noms du Christ de Saint-Bernard, ainsi que son édition.
Je détiens l’édition de Li sermon Saint Bernard de W. Foerster (Erlangen, 1885, réimprimé chez Slatkine en 1980) et je souhaiterais localiser cette occurrence.
Merci d’avance pour votre collaboration.
29 juin 2016 à 11 h 45 min ·
Vous trouverez dans Les sermons sur le Cantique des cantiques, sermon 18 Des deux opérations du Saint-Esprit, dont l’une s’appelle effusion et l’autre infusion, paragraphe 5, « Mais comme ce retranchement ne se peut faire sans une vive douleur ».
Cordialement