Le diable de la porte des Allemands

Les travaux de restauration de la Porte des Allemands touchent à leur fin, l’inauguration est annoncée pour les 7 et 8 juin. Une première exposition présente et l’historique et l’architecture de la dernière conservée des douze portes que comptait la cité médiévale. Peu de gens connaissent cependant, illustrant la petite histoire de l’édifice, la cocasse mésaventure de quelques bourgeois qui prirent leur tour de garde à la porte, une certaine semaine, dans les dernières années du XVe siècle.

L’histoire est racontée par Philippe de Vigneulles, chroniqueur messin (1471-1527) et auteur, entre autres, des Cent nouvelles nouvelles conservées depuis 1973, dans un précieux manuscrit des premières années du XVIe siècle (Médiathèque Verlaine, Metz, ms 1562 ).

     Porte des Allemands vue du sud-est  etat en 1667 A. Bellevoye d'apres Israel Silvestre BM Metz      Porte des Allemands vue du sud-est  dessin de Jean Thiriot 1946 BM Metz

Il était alors de coutume que les gens de métiers comme le clergé des paroisses assurent, à tour de rôle, une semaine de présence (de garde ?) sur les tours et les portes de l’enceinte ; le châtelain de la porte des Allemands résolut de s’amuser un peu aux dépends d’un trio qui comptait en son sein le curé de Saint Gorgon (paroisse disparue en 1769, lors de la construction de l’aile sud de l’actuel hôtel de ville). Lors du souper, la conversation avait habilement été amenée, sur un mauvais esprit hantant la porte et accablant les gardiens de tous les maux du monde, puis chacun s’en fut coucher, d’aucuns assez peu rassurés. Le malicieux officier, dès que ses victimes se furent endormies, mena grand vacarme en faisant rouler des boulets de serpentine sur le plancher cimenté du grenier qui se trouvait juste au dessus d’eux « tellement qu’il sembloit que ce fust ung tonnoire ou ung deable qui retomboit en leur chambre, les occupants avoient tant grant peur qu’ils eussent voulus estre au ventre de leur mère ». On s’en tint là pour la nuit, mais tout au long du lendemain, chacun devisa de ce qui c’était passé. Le châtelain prenant un malin plaisir à les alarmer encore davantage en leur disant qu’ils n’avaient encore rien vu de la grande méchanceté de cet esprit, accoutumé notamment à arracher les couvertures des gardiens durant leur sommeil. La nuit vint, tous se retirèrent ; le châtelain qui avait pris soin auparavant de nouer une cordelette à la couverture du lit que devait occuper le clerc, retourna mener sa sarabande dans les greniers. Mais laissons ici poursuivre Philippe de Vigneulles : « Nous sommes tous perdus mes compaignons râlait le prêtre, cest esperit ne nous laissera point en paix » et chacun « de se musser dessoubz sa couverture et à grand peine pouvaient-ils parler, par la peur qu’ils avoient ». Le capitaine tout doucement commence à tirer la couverture du curé ; quand celui-ci sentit qu’on lui tirait la couverture et que ses compagnons étaient tous dans leur lit « il se mit à braire par telle manière, qu’il fut ouï par tout le château, hurlant à ses compagnons qu’on luy tiroit sa couverture, tous avoient si grant peur, qu’ils n’osoient bouger ne lever la tête et tous d’appeler le châtelain que, Pour Dieu, il venist à eux. »

le Grand Diable, détail de la seconde Tentation de st Antoine (3e état 1635)  Jacques Callot BM Metz

Au châtelain, venu s’enquérir du vacarme, le clerc – qui n’ose quitter son lit – réclame son bréviaire ainsi qu’un bâton. L’officier retourne se coucher ou du moins le leur fait accroire mais recommence bientôt à rouler ses pierres comme devant et à grand force de cordelette à tirer la couverture du curé. « Lequel, quant il vit qu’il ne dormiroit point en paix, print un peu de courage et prenant son baston, frappe tant qu’il peut vers le costez où il sentait qu’on lui tirait sa couverture. Le coup fut arrêté par la corde tendue et rebondit en résonnant et le clerc de s’écrier : ‘Ho ho ! Je l’ay estains dessus les ongles ; car n’y voyant goutte, il cuidait avoir donné de son baston sur les griffes ou les ongles de quelque diable. Ce qu’entendant, le capitaine et le chastelain se mordoient les lèvres et crevoient de rire. Toute la nuit se passa ainsi en peur et fremizon, sans qu’ils puissent oncques dormir. » L’affaire fut bientôt connue de toute la cité et quand la supercherie fut à son tour éventée « Dieu sceit la risée et la mocquerie qu’on en fist » dans le petit monde des paroisses et parmi les châtelains et capitaines des portes, car tous appelaient désormais le curé de St Gorgon« le vray champion qui avoit attain le deable sur les ongles ».

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Pierre-Édouard W.

Conservateur - Bibliothèques-Médiathèques de Metz

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