La censure a bon goût

Classé X "Petite bibliothèque des censures" - FRAC LorraineLe FRAC de Lorraine, notre partenaire, a récemment été condamné à verser un euro à l’Association générale contre le racisme et le respect de l’identité française et chrétienne (Agrif) pour avoir porté « atteinte à la dignité humaine » en organisant, l’exposition You Are My Mirror : l’infamille, en 2008. En réaction à cette condamnation le FRAC, présente jusqu’au 4 mai Classé X, une présentation de livres qui ont eu affaire à la censure, à laquelle les Bibliothèques-Médiathèques de Metz ont contribué en prêtant de nombreux ouvrages.

On est un peu gêné de devoir encore l’écrire, mais la censure, l’interdiction, les condamnations d’œuvres d’art et singulièrement d’écrits n’ont jamais empêché les idées exprimées ni les formes utilisées d’être diffusées et toujours de supplanter celles des censeurs.

Que seraient aujourd’hui les programmes de littérature des lycées français si on en devait ôter les auteurs qui furent à un moment condamnés ou interdits ? Rabelais, Molière, La Fontaine, Voltaire, Diderot, Rousseau, Beaumarchais, Hugo, Baudelaire, Flaubert, Apollinaire, Aragon, Vian tous et bien d’autres eurent à connaître les condamnations judiciaires ou les interdictions politiques.

Mais la censure sut être encore plus imbécile. En vertu d’une loi qui autorise le ministre de l’Intérieur d’interdire discrétionnairement les publications étrangères, la bande dessinée belge paya au mitan du siècle dernier un lourd tribut à l’inanité. En 1950 un titre subversif comme L’Épervier bleu de Sirius, fut interdit car il envoyait son héros, de manière irréaliste, sur la lune. En 1952, dans Hors la Loi, un album de Lucky Luke, Morris racontait la mort de Bob Dalton telle qu’elle se déroula dans la réalité. Il fut censuré. En 1952 aussi, la Commission de la loi de 1949 émit un avertissement à l’éditeur en découvrant le Marsupilami dans Les Voleurs du Marsupilami de Franquin car « cette créature absurde et imaginaire pousse des cris inarticulés ». Blake et Mortimer firent aussi les frais de la censure pour L’énigme de l’AtlantideLucky Luke contre Billy The Kid de Morris en 1962 fut inquiété au nom de la « moralité » car Billy suçait un revolver en guise de biberon, et même Boule et Bill dans l’album N°2 de Roba en 1963 fut censuré pour « cruauté envers les animaux ». Quant à Alix et la Griffe noire de Jacques Martin en 1965 il le fut pour « incitation à la violence ». C’est dire.

Couverture Tous à poil de Marc Daniau et Claire FranekC’est une constante des censeurs et de leurs zélotes que de se réfugier derrière la protection de la jeunesse. Si livre les gêne, il suffit que sa couverture soit possiblement visible par un mineur pour en demander l’interdiction. Souvent les juges sont sensibles à cet argument fallacieux, et le titre meurt de ne pouvoir être vendu normalement. On veut protéger la jeunesse de tout et surtout de ce qui ne l’intéresse d’aucune façon, quand on ne l’instrumentalise pas pour des combats politiques, comme l’actualité récente le montre. Et du coup le marché (qui a toujours raison) place momentanément Tous à poil en tête des ventes. Belle performance de la censure virtuelle.

En effet, la seule consolation qui nous reste devant cette inlassable bêtise au front de taureau est qu’elle finit toujours par perdre, quand bien même elle a commencé par gagner.

Les titres visibles au FRAC vous en convaincront.

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Didier D.

Bibliothécaire - Bibliothèques-Médiathèques de Metz
posted: Actus, Lire, Voir

2 comments

  1.  » On est un peu gêné de devoir encore l’écrire, mais la censure, l’interdiction, les condamnations d’œuvres d’art et singulièrement d’écrits n’ont jamais empêché les idées exprimées ni les formes utilisées d’être diffusées et toujours de supplanter celles des censeurs  »

    J’ose espérer que vous êtes donc opposés à TOUTE forme de censure envers quelque oeuvre que ce soit, et quelles que soient les idées qu’il défend ? Je ne peux pas imaginer avoir affaire à des Tartuffes 🙂

  2. La phrase que vous citez n’est que le constat de l’inefficacité de la censure au regard de l’histoire. Elle devrait suffire à oblitérer toute volonté de censure de la part d’une autorité lucide.
    Ensuite, nous pouvons avoir des convictions et des pratiques comme professionnels des bibliothèques. Elles transparaissent dans cet article, mais autant les préciser.
    Les bibliothécaires, de tradition, sont attachés à la liberté d’expression et de diffusion des idées et font leurs les valeurs prônées par le manifeste de l’UNESCO sur la bibliothèque publique :
    « Les collections et les services doivent être exempts de toute forme de censure, idéologique, politique ou religieuse, ou de pressions commerciales. » Tout est dit.

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