Patrick Neu sort son revolver

Patrick Neu

JEU : combiner l’oxymore.

Quand beaucoup d’artistes contemporains interpellent la conscience du public par des dispositifs ambitieux ou des questionnements discursifs, Patrick Neu suscite de subtiles interrogations par la fragilité paradoxale d’œuvres dont le détail dément souvent l’apparence générale. Il dessine en réserve sur du noir de fumée, assemble des armures de cristal et des camisoles de force en ailes d’abeilles, peint sur des cendres, trace des maques sur des ailes de papillon, bâtit des colonnes de verres apodes, tresse des ronces, façonne des ailes géantes en cire, aquarelle fébrilement les iris lors de leur floraison ou, encore, modèle des sculptures avec de la véritable encre de Chine,…

Non seulement Patrick Neu excelle dans l’art de l’oxymore, mais il possède aussi le talent de la prise de risque. Le créateur sait que ses œuvres sont éminemment fragiles : les colonnes de verre s’effondrent, la sphère parfaite se fissure, le cristal se brise, la cire fond, les dessins de fumée sont effacés par un conditionnement trop méticuleux….

Le spectateur ressent ce risque ontologique : il n’est plus seulement le regardeur qui fait le tableau, mais aussi le passant dont l’œuvre révèle la précarité. Les moyens artistiques sont beaucoup plus économes que ceux de nombreuses vanités mais, à l’inverse, requièrent une extraordinaire précision technique qui confine parfois à l’exploit.

Armure Cristal plumes - FRAC Lorraine

NEU : le taciturne volubile.

Patrick Neu est né en 1963, il vit et travaille en Moselle-est. Il a successivement installé son atelier dans plusieurs localités du parc naturel régional des Vosges du Nord, on pouvait récemment le rencontrer à Wingen sur Moder. Diplômé en 1986 de l’Ecole supérieure d’art décoratif de Strasbourg, il revendique l’enseignement et  l’influence de l’artiste turc Sarkis, qui s’auto-définit sculpteur d’espace.

Après avoir reçu des invitations pour présenter des œuvres au Louvre et au Musée Bourdelle, Patrick Neu a bénéficié de bourses pour Rome, le Japon et la Chine. A l’invitation de Béatrice Josse, il présente sa première exposition personnelle au FRAC Lorraine en 2008, intitulée L’instant n’en finit pas. À cette occasion, les Presses du réel publient la première monographie qui lui est consacrée et le FRAC fait l’acquisition d’une armure de cristal. Jean de Loisy organise une deuxième exposition au Palais de Tokyo en 2015, qui donne lieu à une nouvelle publication aux Presses du réel. Un film de Stéphane Manchematin et Serge Steyer, Le complexe de la salamandre, (Mille et Une Films, Bix Films) en retrace la préparation, il a été présenté en avant-première au Centre Pompidou-Metz en octobre 2014.

FEU : l’arme culturelle.

Le dessin de presse nous a malheureusement habitués, notamment depuis l’attentat contre Charlie Hebdo, à figurer la plume et le crayon comme armes pour résister à la barbarie et à l’oppression.

L’œuvre que viennent d’acquérir les Bibliothèques-Médiathèques de Metz, intitulée « Encre sur papier », s’inscrit pleinement dans cette rhétorique. C’est la représentation d’un révolver, façonnée en encre de calligraphie chinoise traditionnelle, insérée dans une cavité creusée à travers cinq cahiers d’exercices pour écolier reliés ensemble. Ne serait sa forme, la tablette d’encre présente toutes les caractéristiques des méthodes ancestrales de fabrication par pressage dans un moule sculpté en buis. D’ailleurs, il émane de l’objet un étrange et paradoxal parfum légèrement orangé : chaque manufacturier d’encre de Chine signe en effet sa production, sa recette spécifique.

Pour réaliser cette œuvre toute en suggestion,  Patrick Neu a travaillé au plus près de la technique des artisans chinois, comme il le pratique régulièrement avec les cristalliers de Meisenthal.

(DEUX : ladies’ gun en ligne de mire.)

En écho à ce travail, évoquons celui de deux artistes messines, Aurélie Amiot et Audrey Pereira, qui ont réalisé ensemble une gravure d’un mètre carré. Elle a été imprimée au rouleau compresseur  dans le cadre de la série éditée par la galerie Modulab (Metz) que dirige la première nommée.

Cette estampe rose constitue à sa manière une variation sur la tension entre une activité d’enfance (relier des points pour révéler une forme) et la violence du monde adulte puisque la figure représente une arme de défense féminine à placer dans un sac à main.

L’arme douce de la culture contre les larmes amères de la violence, c’est aussi l’action que doivent conduire les bibliothèques dont les premières armoires, armaria, signifiaient à l’époque médiévale : armurerie intellectuelle.

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André-Pierre Syren

Directeur - Bibliothèques-Médiathèques de Metz

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1 comment

  1. j’aime beaucoup cet artiste bonne journée Andé-Pierre à bientôt Nicole

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