Reliure d’art et de SF

Les festivals passent, le futur reste !

De 1977 à 1986, Philippe Hupp anima à Metz un festival de science-fiction  pétaradant dont les retombées se diversifient avec le temps. D’une façon certaine, les Imaginales d’Epinal, dont la 15e édition vient de s’achever, en sont l’héritier. Le caractère progressiste, sinon subversif, de ce genre littéraire a été mis en évidence par le FRAC Lorraine à l’occasion de la Manifestation intitulée « Si ce monde vous déplait », d’après l’introduction de Philip K. Dick lors de sa mémorable conférence messine de 1977. Les BMM entretiennent depuis cette période un fonds de SF désormais bien garni, dont un des volumes vient d’être doté d’une reliure d’art, plus exactement d’un coffret, confiée à Benjamin Berceaux, installé à Pagny sur Moselle et lui-même passionné de SF.

Diplômé de l’école Tolbiac à Paris où il a décroché CAP et un Brevet des Métiers d’ Art, Benjamin Berceaux a ensuite obtenu un Diplôme des Métiers d’Art à la prestigieuse École Estienne. Ayant acquis la maîtrise des techniques traditionnelles, il les emploie pour des créations originales, comme ce livre tentaculaire. Soucieux de faire connaître son métier et les créations qu’il permet, Benjamin Berceaux donne volontiers des conférences et, surtout, participe à des présentations publiques comme, récemment, lors de Parcours d’artistes 2016, pour laquelle il s’est installé au Musée de la Cour d’Or. Il a également remporté plusieurs prix dont la mention spéciale du jury au concours du Festival International des Métiers d’Art de Baccarat (FIMA).

C’est à ce jeune artiste imaginatif et talentueux que les BMM ont donc confié un recueil de Nouvelles de Philip K. Dick (forcément!), publié en 1984 dans la fameuse collection « Présence du futur » de Denoël, premier volume d’une série de quatre. Plus qu’un habillage, Benjamin Berceaux a rendu une interprétation plastique de l’œuvre qui lui était confiée. Écoutons-le : « La forme du livre est déterminée par le contenu. Le nombre de pages change la relation physique à l’objet. Les trois dimensions donnent de l’information sur le contenu. Je voudrais ajouter une quatrième dimension : l’objet pourrait devenir une source d’information visuelle et sensitive du contenu. Si l’on détermine des paramètres variant d’un livre à l’autre et que ces données changent la forme du livre alors au premier regard, on obtient des informations précises quant au contenu du livre. Est-ce de l’horreur ? Un roman d’amour ? Ce livre offre-t-il une vision optimiste ? Ces informations devraient être visibles. »

Le résultat est un coffret formé de deux reliefs opposés, comme ceux d’un iceberg, dans les tons bleus glacés familiers des lecteurs de SF. Le relief de surface est une sorte de cristal vivant et proliférant, obtenu par le travail de peaux collées, roulées, irisées de peinture métallisée, comme si le coffret laissait transpirer les mondes inconnus évoqués par l’auteur; jusqu’à la poignée du couvercle aimanté qui adopte une forme végétale. Le relief intérieur est un scan des thèmes de Dick : tout le texte du recueil a été numérisé et analysé puis passé dans Le logiciel Inventor a permis de dégager les mots dont les occurrences étaient les plus nombreuses et d’en dresser la cartographie comme s’il s’agissait de la maquette 3D d’une montagne intérieure. Le décor intérieur (lui-même faussement gagné par une pulvérulence factice) représente donc une géographie des thèmes dickiens, aussi bien par l’aridité du décor présenté que par l’analyse des thèmes employés, dont la clé est indexée sur une feuille séparée. Benjamin Berceaux propose d’intituler ce dispositif un « topobook », il reconnait que le dispositif est assez cérébral, mais -de fait- bien adapté à l’écriture dickienne. Peut-on envisager qu’il propose un ouvroir de reliure potentielle à ajouter à la liste  de ceux déjà générés par l’Oulipo ?

En parallèle de son travail de reliure, Benjamin Berceaux a décidé en 2011 d’étendre l’activité de l’atelier à l’impression d’art avec une technique appelée hot stamping ou encore impression à chaud dans le cadre d’un projet intitulé bavardage print, « Emporté par les possibilités multiples qu’offre ce procédé, je me suis formé aux règles traditionnelles de la typographie, au graphisme et j’ai entamé la création d’objets hétéroclites tels qu’une série d’impressions de gravures anatomiques sur disque vinyle. Aujourd’hui je réalise toutes sortes d’impressions en produisant moi-même les clichés en photopolymère ou en magnésium. »

Et pour ouvrir de nouvelles voies, le relieur-éditeur contribue aussi à la préparation des coffrets sur mesure des éditions Scylla qui rééditent des textes… de science-fiction notamment !

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André-Pierre Syren

Directeur - Bibliothèques-Médiathèques de Metz

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