Amable TASTU en voyage : « la poésie en action » (3)

« Il est curieux que la personne la plus casanière et la moins aventureuse soit arrivée si tard à cette vie accidentée ; c’est de la poésie en action, mais celle-là n’est pas faite pour le public. » Ainsi s’exprime Amable TASTU, dans une lettre à Sainte-Beuve, sur le cours inattendu qu’a pris sa vie après le décès de son époux Joseph. Ce dernier, dont les affaires avaient périclité après la Révolution de Juillet, réussit à obtenir un poste de conservateur à la Bibliothèque Sainte-Geneviève en 1838. Mais atteint de troubles nerveux qui s’amplifèrent au fil des années, il mourut en 1849. Amable en éprouva un chagrin profond, malgré un mariage qui ne l’avait pas rendue heureuse.

Ne lui restait maintenant plus que son fils : sa seule raison d’être au monde. Elle l’avait toujours entouré d’une affection maternelle indéfectible, et veillé à lui donner une vaste éducation, assise sur des valeurs morales et religieuses solides. Aussi, après de brillantes études de droit, Eugène Tastu embrasse-t-il une carrière de diplomate.

Voyage au Levant, de Corneille LE BRUYN; fonds ancien des BMM, FPA MM 167En 1850, une fois le temps du deuil passé, Amable décide de partir le rejoindre à Larnaca, sur l’île de Chypre, où il occupe un poste de consul. Elle commence ainsi, âgée de cinquante-cinq ans, une série de voyages vers de lointaines terres orientales. Si on peut difficilement se représenter la diversité des situations périlleuses qu’elle y rencontra, on imagine plus aisément que sa santé eut à souffrir de ces déplacements. Pendant son séjour à Chypre, elle souffre de fortes fièvres. Puis c’est sa vue qui pâtit de conditions climatiques extrêmes : alors qu’elle avait suivi son fils à Jassy, en Moldavie, elle subit les premiers dommages oculaires dus au froid, lors d’un trajet en calèche par – 20°. A son fils qui se tient à ses côtés, elle répète avec insistance : « Que j’ai froid aux yeux ! »

En 1855, Eugène est nommé consul général à Bagdad. Une fois de plus, elle n’hésite pas à partir le rejoindre, malgré les risques que représentait une telle aventure pour une femme de soixante ans. En effet, outre l’inconfort des transports terrestres à cette époque, et la menace constante du brigandage, elle dut aussi descendre le Tigre dans une embarcation appelée kellek ! « Les lieux que je viens de vous nommer vous représentent mes pérégrinations sous toutes les latitudes, par toutes les températures, les chemins et les véhicules possibles ou impossibles. J’ai voyagé en chariot comme au Moyen-âge; en chemin de fer et en paquebot comme les civilisés; en taktarawan et en kellek comme au temps antique » (Lettre à Sainte-Beuve).

Voyage au Levant, de Corneille LE BRUYN; fonds ancien des BMM, FPA MM 167Elle demeura cinq ans à Bagdad. Et ce que le froid balkanique avait commencé, c’est la chaleur mésopotamienne qui sembla l’achever. Sous le soleil de l’Orient, sa vue ne cessa de baisser, jusqu’au jour où elle prononça ces mots déchirants à son fils : « Je ne te vois plus, mon enfant. » Heureusement, une opération de la cataracte réussit à lui rendre la vue en 1861. La même année, elle reprend la route pour retrouver son fils. Cette fois, c’est Belgrade, en Serbie, où Eugène est nommé consul général de France. Comme les précédents, ce séjour à l’étranger ne sera pas de tout repos : la Serbie et l’Empire ottoman sont aux prises en cette période où les pays des Balkans cherchent à s’émanciper de la Sublime Porte.  Et lors d’une révolte de la population serbe, un boulet de canon turc, qui avait touché l’hôtel où elle résidait, fit voler en éclats la fenêtre de sa chambre. Les récits sont unanimes pour saluer le courage et le sang-froid de la poétesse en ce moment critique.Tastu

La dernière affectation de son fils, Alexandrie, lui épargna de nouvelles frayeurs. Son état de santé n’empira pas.  Ils rentrèrent définitivement en France en 1866, après la mise en disponibilité d’Eugène pour des raisons mal éclaircies. On a pu mettre cette disgrâce sur le compte d’un manque d’habilité et de zèle, alors que les Anglais faisaient montre d’une diplomatie particulièrement active en Egypte.

Ses dernières épreuves, c’est en France qu’Amable dut les connaître, lors des années 1870 et 1871 : la défaite de la France dans une guerre absurde, et sa ville natale prise puis annexée par l’Allemagne naissante.  Et enfin les événements tragiques de la Commune de Paris, au cours desquels elle fut chassée de son domicile parisien.

Retirée à Palaiseau avec son fils en 1872, elle s’y éteint en 1885.

 Pour en savoir plus :

Madame Amable Tastu, sa vie et son oeuvre.- BABEAU, Emile-Albert.- Frères Douladoure, 1945
Amable Tastu : une poétesse à l’époque romantique.- MARZOUKI, Afifa.- Faculté des lettres de la Manouba, 1997
La braise et la cendre : vie et voyages d’Amable Tastu, femme et poète au siècle romantique.- MARZOUKI, Afifa.- Ecole Normale Supérieure de Tunis, 1998
Madame Tastu ou la muse oubliee (biographie).- POUSSARD-JOLY, Catherine.- Societe Historique de Palaiseau, 1995

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