La candidature de Metz pour le classement sur la liste du patrimoine mondial, dressé par l’UNESCO se fonde sur l’aménagement urbain autour des places « royale » et « impériale ». Depuis la période moderne en effet, on pense la ville par ses espaces publics et la mise en valeur des monuments emblématiques. Il n’en a pas toujours été ainsi. Au Moyen-Age et à la Renaissance, les villes formaient plutôt un fouillis urbain – au milieu duquel on érigeait peu à peu des monuments prestigieux – les vides étaient plutôt ménagés en dehors des remparts pour favoriser la défense.
Il arrivait ainsi que des monuments subissent ce que l’on appellerait aujourd’hui des servitudes de passage public. A Metz, l’exemple le plus étonnant concerne la cathédrale Saint-Étienne, sur les cheminements d’accès à la Moselle.
La Moselle côtoie sur sa droite, 3 km en amont de sa confluence avec la Seille, une longue succession de terrasses, en partie naturelles, en partie aménagées dès l’époque antique. Le relief, ici formé par la grande faille de Metz est plus accusé en aval de la citadelle. Jusqu’à la fermeture de la porte Serpenoise en 1560, la voirie messine était principalement organisée selon un axe nord sud reprenant le tracé de la voie romaine de Lyon à Trèves, tandis que les liaisons ouest-est étaient contraintes par les multiples bras de la rivière comme par le relief abrupt.
Jusqu’au début du 13e siècle, un gué, à l’emplacement de l’actuel Moyen Pont et un pont (l’actuel pont St Georges, attesté au 4e siècle mais sans aucun doute plus ancien) permettent seuls de franchir la rivière. Depuis le 10e siècle et jusqu’à la création de la rue d’Estrées en 1761, un large emmarchement : les degrés de Chambre, permettait de franchir l’important dénivelé ( 8 à 10 m) existant entre la place où, chaque samedi depuis le 8e siècle, se tenait le marché et les rues qui aboutissaient à la cathédrale. La rive droite de la Moselle, alors le lieu majeur du commerce messin formait, avec l’actuelle ile de la Comédie (Petit-Saulcy), le portus carolingien ; les marchandises déchargées des navires étaient vendues sur place. D’usage assez mal commode en raison de l’étroitesse des lieux et des voies d’accès que compliquait encore le relief, le marché sera au 12e siècle déployé sur les actuelles places St Louis et Coislin. Pour atteindre la place de Chambre et la Moselle depuis la ville haute, il fallait donc emprunter la rue du Vivier ou la rue de la Pierre Hardie, soit encore un itinéraire traversant le parvis de la cathédrale St Étienne alors moins développée au sud, mais qui n’était possible que pour les piétons et les bêtes de somme à l’exclusion de toute carriole ou charrette. Ce passage sera condamné vers 1200 par la construction de Notre Dame la Ronde. Il se déplacera de quelques mètres vers le nord à partir de 1220 pour traverser le chantier souvent abandonné de la nouvelle cathédrale.
L’achèvement de la nef de Saint-Étienne qui ne formait désormais qu’un seul édifice avec Notre-Dame qui avait été reconstruite, ne modifia pas, semble-t-il, cette habitude prise au long des siècles précédents, et d’autant mieux ancrée dans les mœurs que ce chemin était fort pratique pour tous ceux qui fréquentaient les marchés tenus sur les places entourant la cathédrale, leur épargnant ainsi de longs détours. Le Chapitre s’en ému à plusieurs reprises : en 1456, il fit même appel aux magistrats de la cité pour qu’il empêcha que l’on traverse l’église avec des animaux. Le rétablissement d’une voie de communication apparut bientôt comme une urgente nécessité. Le 24 novembre 1531, les chanoines, sur la proposition du Magistrat et de l’évêque de Toul, alors bailli de l’évêché «considérant les ordures et immondices qui journellement se portent parmi l’Eglise-Cathédrale ... », envisageait l’ouverture au pied de l’église d’un chemin allant droit En Chambre ; mais le projet ne connaissant pas de suite, les échevins sollicitèrent à nouveau le Chapitre en janvier 1582 en vue de l’ouverture d’un passage public à travers la nef comme il en existait un à travers le cloitre. Les chanoines, « malgré leur souhait de ne pas mécontenter la ville », répondirent qu’il « convenait de conserver au lieu son caractère sacré ». Il fallut bien en revenir au projet d’ouvrir une rue sur le terrain de l’évêché, au pied de la cathédrale.
Le nouveau passage fut percé en 1607. Longeant la façade de la cathédrale, il débouchait au sud de la place-en-haut-des-degrés-de-Chambre (Place Saint-Etienne) après être passé sous le grand logis du palais épiscopal, qui à cet endroit était mitoyen de la nef et dont l’évêque avait exigé la conservation. Le passage, assez étroit (moins de 5 m), était en outre bordé de chaque côté par une série de boutiques. Le perpétuel encombrement de la ruelle, comme d’indéracinables habitudes ne devaient pourtant pas supprimer tout passage à travers l’église. Le Chapitre se plaignait encore en 1667, de ce que plusieurs personnes « passent et repassent avec des hottes et des fardeaux qu‘ils déposent dans la nef, le temps d‘entendre la messe ». En 1682, il était encore question du désordre causé par le passage continuel des personnes qui vont et viennent du marché, chargées de denrées et d’autres choses. En fait, cela devait durer jusqu’en 1720 ; l’annaliste Baltus signale à cette date que les tonneliers-muttiers (fabricants de muids) avaient coutume de traverser les premières travées de la nef ; une petite marque sur la pavé signalant l’endroit où ils posaient leur charge le temps de faire leurs prières.
Pierre-Édouard W.
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27 février 2014 à 15 h 57 min ·
Un grand merci pour ce post, cela semble cohérent